Un plan pour développer l’engraissement de chevreaux fermiers
Qui dit fromages fermiers au lait de chèvres dit forcément chevreaux. Mais ce produit de l’élevage caprin peine à être valorisé correctement aujourd’hui. En Saône-et-Loire et dans huit autres régions de France, des éleveurs cherchent ensemble des solutions pour développer une filière de viande de chevreaux fermiers.

Depuis plusieurs années, les éleveurs de chèvres producteurs de fromages fermiers sont en attente d’une meilleure valorisation de la viande de chevreaux. Parent pauvre de l’élevage caprin, les chevreaux sont pourtant une nécessité si l’on veut avoir du lait, mais ils souffrent d’une piètre valorisation sur le marché, tant en maigre qu’en boucherie. La profession s’est mise en tête de développer une filière pour la viande de chevreaux fermiers tout en encourageant l’engraissement à la ferme.
Pour ce faire, de 2019 à 2022, le programme Valcabri a été porté par l’Institut de l’Élevage avec comme partenaires l’Inrae, la Fnec (syndicalisme), Capgènes (génétique) et le lycée agricole Olivier de Serres (ferme expérimentale du Pradel dans l’Ardèche). Ce programme national visait à rassembler des solutions techniques concernant l’engraissement. Les axes de travail explorés étaient le croisement avec des races de type viande pour des carcasses mieux conformées, la conduite alimentaire des chèvres en fin de gestation, le choix de l’aliment d’allaitement des chevreaux, la durée d’engraissement, les qualités sensorielle et nutritionnelle de la viande, l’itinéraire de production (charge de travail, rémunération de l’éleveur), une offre innovante en viande de chevreau en prenant en compte les attentes des consommateurs. Tous ces résultats ont été diffusés sous forme de fiches techniques, vidéos, sur le site de l’Idele (https://idele.fr/valcabri/), etc. Mais au regard de la forte demande sur le terrain et de la nécessité de poursuivre le développement de la filière, le projet Cabri + a pris le relais avec la volonté d’accompagner les acteurs dans la mise en place de l’engraissement à la ferme.
Cabri + suite de Valcabri
Toujours piloté par l’Institut de l’élevage, avec de nombreux partenaires régionaux (chambres d’agriculture), la Fnec, la ferme expérimentale du Pradel, Interbev…, Cabri + vise, pour une durée de 3 ans (2024-2027), une démultiplication des connaissances acquises sur l’engraissement du chevreau à la ferme. Ce programme passe par un état des lieux suivi de plans d’actions régionaux bâtis sur les besoins et attentes des éleveurs.
La Saône-et-Loire fait partie des neuf groupes territoriaux impliqués dans cette démarche de relance. Sous l’impulsion du syndicat des éleveurs caprins, des travaux y sont en cours pour accompagner les ateliers d’engraissement de chevreaux à la ferme. Une marque régionale « Chevreaux Fermiers de Bourgogne-Franche-Comté » est sur le point d’être créée. Outre de nombreux élevages dont certains valorisent déjà des chevreaux fermiers, le département et ses alentours comptent plusieurs abattoirs en mesure d’accueillir des chevreaux, des grossistes, des ateliers de transformation et de découpe…
Des motifs de réussite…
Au cours d’une première réunion organisée en Saône-et-Loire en juin, le groupe a identifié « des motifs de réussite » dans l’engraissement des chevreaux à la ferme. La maîtrise technique de l’engraissement semble accessible aux participants. Ils y voient une opportunité d’élargir la gamme des produits en vente directe. Les restaurateurs haut de gamme sont une cible privilégiée. Les éleveurs sont convaincus que l’engraissement à la ferme permettrait de mieux couvrir les coûts par rapport à des chevreaux vendus maigres. C’est aussi pour eux la fierté de valoriser tous les produits de la ferme pour une image positive.
Mais des freins aussi…
Un certain nombre de difficultés ont cependant été listées par le groupe.
L’abattage et la transformation sont perçus comme des freins tant ils sont gourmands en temps, en coûts de transport, sans oublier le délicat respect des dates d’abattage et la réglementation. Les éleveurs redoutent l’appréhension du consommateur vis-à-vis de la viande de chevreau. Des questions subsistent quant au bon poids de carcasse et la connaissance des acteurs intermédiaires (découpe, transformation, distribution). Les éleveurs relèvent que la fragilité des chevreaux nécessite surveillance et technicité. Ils pointent également la saisonnalité du produit au regard du pic de consommation changeant d’année en année. Ils déplorent enfin la marge trop faible pour le naisseur-engraisseur et l’incertitude des prix qui ne prennent pas en compte les coûts de production et ne sont pas fiabilisés par des contrats.
Coûts de production et marges
Une seconde réunion a eu lieu début octobre. Reprenant le travail accompli lors de la première réunion, les participants ont retenu les thématiques : marges trop faibles, chevreaux fragiles à élever, manque de soutien de la filière, appréhension du consommateur comme autant de freins à lever en priorité.
Pour démentir la crainte de marges trop faibles, les participants comptent sur le calcul du coût de production des chevreaux. Ce serait un argument économique pour convaincre des éleveurs de l’intérêt d’engraisser ainsi qu’un indispensable indicateur pour adapter conduite et prix de vente. Les éleveurs expriment en outre un besoin de références sur la conduite technique des chevreaux : alimentation, alottement, litière, santé animale…
Mieux comprendre les débouchés
Une coordination entre éleveurs serait nécessaire, estiment-ils, pour « optimiser » la production vis-à-vis des débouchés. Ce qui implique de « mieux comprendre ces débouchés et de cibler des clientèles précises ». Les participants estiment par ailleurs qu’il faudrait adopter « un plan de communication consommateur clair et attractif ». L’optimisation des charges est un autre levier pour améliorer les marges. Les éleveurs évoquent la piste de la mutualisation des équipements (chambre froide, laboratoire de découpe et transformation) qui pourraient être utilisés en commun.
Vis-à-vis de la fragilité du chevreau, le groupe avance la piste d’une meilleure maîtrise sanitaire (vide sanitaire, litière, ambiance bâtiment, identification et gestion des maladies chroniques) ainsi qu’une gestion optimisée des lots (par poids).
Séduire les consommateurs
Pour lever le frein de l’appréhension du consommateur envers la viande de chevreau, les éleveurs pensent à développer un produit phare à faire déguster à chaque occasion. La viande de chevreau pourrait être mise en avant lors d’évènements ciblés, sur les foires et salons… Les producteurs comptent aussi sur le soutien de restaurateurs « ambassadeurs ». Ils envisagent également une collaboration avec les collectivités locales et comptent sur les réseaux sociaux.
Soutenir et structurer la filière
Pour pallier le manque de soutien de la filière, les producteurs de chevreaux entendent interpeller la profession, le Département, la Région, les députés… pour un soutien sur la promotion de la viande de chevreau. Dans le même temps, les producteurs devront s’organiser, se structurer sous une marque régionale. De manière générale, les éleveurs souhaitent contribuer au maintien des outils d’abattage et de transformation existants et engager des discussions avec eux.
La prochaine étape est la construction d’un « plan de démultiplication », avec ses actions concrètes découlant de ces réflexions, avant un séminaire réunissant, mi-janvier 2025, les neuf groupes territoriaux de démultiplication répartis dans toute la France.
« Pour que le chevreau ne soit plus une charge pour les exploitations »

« Le chevreau naissant est une charge pour l’éleveur. On y passe beaucoup de temps. Avant de le faire partir de l’exploitation pour l’engraissement, on doit lui apprendre à téter. C’est un gros travail dont le coût de production n’est pas couvert par le prix de vente des cabris », explique Jean-Philippe Bonnefoy, président du syndicat caprin de Saône-et-Loire. Pour surmonter cet écueil, la profession et les instituts techniques encouragent à engraisser les chevreaux à la ferme pour les valoriser auprès de revendeurs ou en vente directe. Soutenu par la Fédération Nationale des Éleveurs Caprins (Fnec), le programme Valcabri a permis de rassembler des données techniques sur l’engraissement et sur la valorisation de la viande de chevreaux, poursuit Jean-Philippe Bonnefoy. Cabri +, projet Casdar défendu par la Fnec, en est la suite. « Son objectif est de diffuser ces connaissances partout en France et d’accompagner les éleveurs qui souhaitent s’engager dans cette voie. Lorsqu’on fait partir ces chevreaux maigres des exploitations, il manque peu de travail et de temps pour aller jusqu’au bout de l’engraissement. Le poids vif à atteindre est de 9 à 11 kg et en visant une sortie pour les fêtes de Pâques, on peut parvenir à mieux les valoriser », argumente Jean-Philippe Bonnefoy. Dans une optique de vente directe, il est recommandé de préparer les choses en amont avec l’abattoir. Nombre d’animaux, poids, dates d’abattage, découpe, conditionnement… : mieux vaut établir un cahier des charges avec l’abatteur et les prestataires. « Nous devons veiller à garder ces ateliers d’abattage qui sont indispensables dans notre projet », ajoute Jean-Philippe Bonnefoy. L’autre aspect du projet est « de remettre au goût du jour cette viande de chevreau qui n’est plus connue ni distribuée. Il existe plein de recettes sur le site d’Interbev la viande.fr. La viande de chevreau a des grandes qualités gustatives et nutritives et elle est un super produit à cuisiner. Certains restaurateurs en sont déjà les ambassadeurs. Nous, producteurs fermiers, avons une carte à jouer. Car la viande de chevreau est issue d’une filière vertueuse : des animaux engraissés à la ferme, transformés dans des outils d’abattage locaux, en filière courte : une bonne image », conclut Jean-Philippe Bonnefoy.