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Jeunes agriculteurs de Saône-et-Loire

« Rendre le métier sexy ! »

Le 11 avril dernier à Saint-Vincent-Bragny, les Jeunes agriculteurs de Saône-et-Loire (JA71) mettait à l’honneur un sujet qui leur tient à cœur : la communication. A l’image du ton décalé de leur assemblée générale, la communication a évolué ces dernières décennies. L’objectif est désormais d’embrasser les nouveaux codes pour s’en servir pour attirer des jeunes à s’installer, en allant chercher dans toutes les communautés de la société.

Par Cédric Michelin
« Rendre le métier sexy ! »

Après leur première cérémonie des Palmes d’Or de l’agriculture, les Jeunes agriculteurs de Saône-et-Loire avaient donné le ton avec une affiche originale sous forme d’un manga. Pour eux, la communication agricole doit être renouvelée. L’agriculture n’est pas du tout en retard en la matière et JA71 avait convié quatre profils forts variés pour parler de communication lors d’une table ronde à la parole libérée. Avec ses bons côtés, franchise, spontanéité, émotionnel et ses mauvais. À l’image de ce qui se passe sur les réseaux sociaux, qui sont désormais le support de référence pour ces nouvelles générations. Les médias traditionnels étant relayés au même rang que les bibliothèques, en dernier recours si non disponible sur « les Internets ».

Être authentiques

Symbole de ce changement d’époque, Alexandre Morel se décrit comme un « créateur de contenus sur Tik Tok ». Agriculteur de métier, il communique sur son métier sur ce réseau social via de courtes vidéos. Il se filme avec son smartphone dans son exploitation pour expliquer son quotidien comme pour répondre, positivement ou négativement, à des followers ou à des trolls. « J’ai commencé lorsque j’étais encore au lycée, à Montmorot, dès 2020. J’animais la page Instagram et j’ai adoré expliquer. Je parle plutôt bien et je me suis lancé en vidéos » en voyant qu’il avait peu de confrères occupant ce rôle. Bien lui en a pris puisque le succès est arrivé rapidement. De quoi poser des questions au Cniel, l’Interprofession laitière qui réalise de grandes campagnes de communication tous les dix ans pour communiquer sur les « produits laitiers sont vos amis pour la vie », comme son plus célèbre slogan.

Fiona Arpaillange, est responsable de la communication « corporate » (institutionnelle) et travaille sur la « réputation » des produits laitiers en étant « partie prenante » du Cniel auprès d’un public allant des politiques aux ONG, car la « com' est plurielle ». Adrien Dinh lui est plus en charge des nouveaux supports de communication et des messages « authentiques », comprenez moderne. Les grandes campagnes de communication passant à la TV après le journal télévisé ne fonctionnant plus auprès des jeunes générations ayant déserté les émissions linéaires pour consommer l’information et les publi-reportages à la demande, avec beaucoup de publicités ciblées sur les plateformes gratuites. Et comme le veut le dicton, « si c’est gratuit, c’est vous le produit », et le producteur pourrait-on rajouter, tant Cniel et autres créateurs de contenu (on parle d’influenceur lorsqu’il y a placement de produits, N.D.L.R.) « nourrissent » les algorithmes des géants de l’informatique. Pour le Cniel, comme pour beaucoup, les réseaux sociaux, malgré tout leurs (énormes) défauts, sont devenus incontournables. Ce sont les hypermarchés et les fastfoods de la communication. Le Cniel s’en est vite rendu compte, l’interprofession avait à chaque « post », des commentaires négatifs avec « des veaux morts » sous la publication. Une contre-publicité négative qui même bloquée, limitait la portée en raison des algorithmes ne voulant aucune censure. Comment dès lors « toucher les nouvelles générations ». En se tournant justement vers les « nouveaux prescripteurs », sans dénaturer ou le transformer en influenceur. Toute la stratégie du Cniel a donc été de repenser ses contenus pour que les internautes puissent un jour croiser la route des comptes d’Alexandre sur les réseaux sociaux, non pas par chance, mais par apprentissage des réseaux sociaux. Il fallait donc créer et diffuser des messages. Et si l’humour n’est pas toujours universel, cette émotion marche bien sur les réseaux sociaux. Le Cniel diffusait un exemple de sketch « pédagogique » réalisé pour faire la différence « entre une baguette, un camembert », l’acteur se coupant les deux bras, car ne faisant pas la différence entre son avant-bras et une baguette dorée. De « vrais vidéos terrains » viennent s’intercaler dans la file (ou le fil) des vidéos.

Les codes de la TV modernisés

C’est de l’infotainment, mélange d’information et d’Entertainment, amusement à l’américaine. « On a besoin d’agriculteurs qui sont nos ambassadeurs », motivait Fiona, qui voit là autant de témoignages véridiques comme dans une émission TV classique, mais disponibles sur les « Internets ». Et ainsi, ces agriculteurs, simples anonymes pour certains ou véritables stars de leurs communautés, « font passer des messages », simplement sur des aspects sympas du métier ou sur des sujets plus clivants, comme autour du bien-être animal. En se filmant en train de prendre soin de ses animaux, l’éleveur désamorce 99 % des critiques médiatiques. Pour autant, Alexandre le reconnaît, les « trolls » et autres « haters » le harcèlent parfois en lui envoyant des messages matérialisant l’agribashing ambiant. Surtout lui, l’éleveur, est la cible de certains vegans et spécistes radicaux, qui ne connaissent rien à l’écologie et à la vie. « On gère comme on peut. Lorsque j’étais novice, ça m’a atteint personnellement au début », reconnaît Alexandre, qui a reçu des menaces de mort, « on va te tuer comme tu traites tes vaches ». La lâcheté sur Internet est certainement la notion la plus répandue de ces idéologues et maintenant Alexandre leur répond « avec plaisir à leurs provocations » mais sur le ton de l’humour et avec des éléments techniques et « positifs ». Résultats, ce sont les trolls qui sont pris à leur propre piège et suppriment leurs commentaires haineux car « ils n’assument pas », se délecte Alexandre.

Se former « pour se rendre sexy »

Le Cniel a aussi pour mission de « préparer les éleveurs » à ce genre de réactions. C’est du « média training » sans journalisme. Le Cniel conseille « de ne rien cacher ». Dans notre société hyperconnectée d’aujourd’hui, il n’y a plus de tabou. « Quand il y a un flou, c’est qu’il y a un loup », résume Romain Déléris, des JA de l’Aveyron. Les citoyens veulent « de la transparence » (sauf sur leur propre incohérence) et il « ne faut rien mettre sous le tapis : oui, un veau va aller à l’abattoir un jour. Ce n’est pas simple à aborder, mais sinon, vous risquez un coup de bambou en retour », s’est-il formé au sein du réseau JA. Il en va de même en filières végétales, avec les pesticides par exemple. Le Cniel travaille d’ailleurs avec Interbev et les Interprofessions végétales sur des sujets « pédagogiques ». Comme pour les publireportages (catégorie publicité donc), des agences de communication existent (Sous le Hangar…) pour accompagner les « influenceurs » à dégager des revenus.

Stratégie d’entonnoir

Tous ces messages commencent à constituer une véritable galaxie de contenus, en plus des sites web. Cela permet au final de « rendre le métier sexy », expliquait Mathilde André, l’animatrice de cette table ronde. Car l’idée derrière est aussi d’attirer de nouveaux profils aux métiers du vivant, pour au final chercher à installer des jeunes se découvrant une passion pour l’agriculture. « On se doit d’être de bon VRP de nos métiers », alors que très vite, les « contraintes » du métier ressortent : vivabilité, astreinte…

Mais pour rendre le métier « sexy », il faut partir des codes du public cible et utiliser une « stratégie d’entonnoir », explique Fiona. Le Cniel parle au grand public, leurs sketchs à tous les étudiants et les influenceurs à ceux intéresser pour travailler un jour dans l’agriculture. La concurrence est rude cependant puisque tous les secteurs manuels sont en recherche. Le Cniel noue des partenariats commerciaux « avec de gros Youtubeurs », tel qu’Inoxtag, qui avait fait le « buzz » pour avoir gravi l’Everest. La vidéo de son exploit étant sur les réseaux sociaux. « Il faut toujours mettre en avant votre passion », car les réseaux sociaux fonctionnent à l’émotion. Pour autant, cela ne suffit pas pour Fiona qui va jusqu’au bout de la communication pour recruter des futurs éleveurs : « il faut montrer l’innovation et les technologies qui attirent ». Alexandre le reconnaît, cela lui arrive de devoir orienter certains de ses fans vers les organisations gérant les installations agricoles. De quoi être fier. Et pour celles et ceux qui n’ont pas envie d’être ou d’aller sur les réseaux sociaux, Romain Déléris rassure : « chacun dans son village peut accueillir, discuter, prendre du temps pour parler de son métier », voire même s’engager comme lui au sein de JA pour aller prêcher la bonne parole « dans 100 classes à Paris, avec 100 agriculteurs faisant la promotion du métier ». Décidément, ces jeunes, ils sont forts en communication.

 

Syndicalisme et positivisme ne sont pas incompatibles

Grand témoin, la « Grande gueule » de RMC, notre éleveur de Saône-et-Loire, Didier Giraud venait donner son avis, franc comme à l’accoutumée, lui qui reste au fond un JA à vie. « Je ne suis pas influenceur mais j’ai la prétention d’avoir un peu d’influence ». Faisant maintenant partie des « vieux », il a désormais l’expérience et sait différencier « l’ambivalence du syndicalisme », devant défendre le métier et les revenus des agriculteurs. « Cela ne donne donc pas une image très positive » dans les médias. Comment dès lors faire comprendre « notre mode de vie rural et notre quotidien » alors que la société est urbaine désormais ? Lui qui va régulièrement à Paris et côtoie des purs « bobos », Didier Giraud encourage les jeunes agriculteurs à se servir des nouveaux moyens de communication, tels que les réseaux sociaux. « Mais il faut bannir le message qu’on fait ce métier par passion et pas pour gagner notre vie ». Les deux ne sont pas incompatibles, loin de là, et ce discours peut attirer de nombreux jeunes. « La communication ne se fait pas que d’une seule façon. Elle est efficace s’il y a plein de courroies de transmission, du journal local à l’agriculteur, en passant par la Semaine du goût ». Chacun peut être acteur de la communication « positive » de son métier. Et en plus, cela fait du bien au moral.