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Contractualisation et filière bovine

En butte au « maquignonnage »

La contractualisation en viande bovine, tout le monde en parle, mais
personne ne la réalise ou presque… Les acteurs de la filière ne
souhaitent tout simplement pas utiliser ce système pour sécuriser leurs
marges. Telle est l’une des conclusions du rapport du Conseil général de
l’alimentation de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sur la
contractualisation…
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« Il faut arrêter de jouer à la marchande ! », s’est exclamé Michel Reffay, le 17 novembre dernier lors de la journée Grand angle Viande organisée par l’Institut de l’élevage. L’homme est à l’origine du rapport sur la contractualisation, publié par le CGAAER, avec Nicolas Petit et Sylvain Marty. Ce texte, publié le 28 octobre, fait le point sur la contractualisation dans la filière bovine à viande (lire aussi notre dernière édition en pages 1 et 8).
Michel Reffay s’est pourtant voulu positif : « il me semble que le sujet de la contractualisation commence à être mûr » au sein des différents acteurs. Reste que le rapport ne l’est pas autant ! Il en ressort en effet que les éleveurs et les autres membres de la filière ne sont pas prêts à contractualiser, voire même qu’ils ne le souhaitent tout simplement pas !
L’espoir de vendre cher ses animaux, quitte au final à vendre à bas prix, plutôt que de sécuriser toutes ses ventes à un prix plus faible, fait manifestement vivre bon nombre d’acteurs…
Cette culture du maquignonnage et de la « future bonne affaire » faisait également dire à Michel Reffay, que cela « manque de professionnalisme » dans la filière. Selon le rapport, « tous les échelons de la filière - éleveurs, commerçants, abatteurs - manifestent une appétence indéniable pour la négociation commerciale. Que les négociants en bestiaux revendiquent l’efficacité économique de leur intermédiation est dans l’ordre normal des choses ».

Raisonner en coûts de production


Par contre, du côté de la production, « cette posture donne à penser que l’énergie consacrée par l’éleveur pour réaliser une "bonne" vente à chaque opération de mise en marché serait mieux investie que celle qu’il pourrait consacrer à la performance de son processus de production », peut-on lire dans le rapport.
Or, la variabilité des coûts de production au sein des élevages allaitants est bien connue, « même si cela reste désagréable à entendre », affirmait Michel Reffay. Aujourd’hui, « mon challenge professionnel, c’est de battre mon coût de production », continuait-il en se mettant à la place de l’éleveur dans un contexte de prix contractualisé.
La marge de l’éleveur se fera alors non par la "bonne" vente, aléatoire, mais par une réflexion sur le fonctionnement même du système d’exploitation, plus sûre.
De plus, autre constat, selon le rapport, « les naisseurs, qui sont les plus touchés en cas de difficultés, ne sont pas demandeurs » de ces contrats. Un paradoxe !
Enfin, « les abatteurs rencontrés font globalement montre d’un engagement verbal modéré pour la contractualisation. La culture dominante reste celle d’une stratégie de cueillette, face à une offre structurellement abondante ». Nul besoin, donc, de sécuriser l’approvisionnement, et cela malgré des outils d’abattage en surcapacité.
Quant à la distribution n’a pas particulièrement d’intérêt à contractualiser, elle non plus. Elle n’en tirera, en effet, pas ou peu de bénéfice particulier.

Un vœu pieux des politiques


A ce manque d’intérêt de la part des acteurs, s’ajoute une consommation croissante de steak haché, laquelle entraîne une forme de déconstruction de la valeur ajoutée créée par l’aval.
« Pourquoi élever de belles vaches pour en faire du steak haché derrière ? », résumait Michel Reffay. D’où l’intérêt d’une segmentation du marché, à l’image de celle effectuée pour les pommes de terre, cite-t-il en exemple.
Autre frein, « la faiblesse de la structuration de la filière par les organisations de producteurs à caractère commercial que l’action publique a renoncé à corriger ». Or les organisations de producteurs devraient porter cette contractualisation.
Il est encore possible de parler du bien-être animal (avec le "scandale" de l’abattoir d’Alès) ou encore du récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le côté cancérigène de la consommation de viande rouge qui handicape la filière, lançait Michel Reffay. Reste que la contractualisation, sujet "tarte à la crème" du gouvernement comme cela se murmurait dans l’audience de cette journée Grand angle, doit bien avoir des effets positifs. Pour les auteurs du rapport, son développement est « l’un des éléments d’un cercle vertueux de renforcement de la filière ». Cependant, ils ont été également « frappés par le contraste entre une réticence certaine opposée en premier lieu par leurs interlocuteurs pour évoquer les démarches de contractualisation, et leur capacité à en évoquer les bénéfices, une fois l’échange établi dans la confiance en dehors des postures de convenances ».
Face à ces constats, à l’image des projets de développement agricole dont l’implication des acteurs est prioritaire, il est légitime de s’interroger sur la réelle émergence d’une contractualisation dans le secteur bovin à l’avenir et cela malgré la volonté des politiques. A moins d’une profonde restructuration du secteur...



« Plus anticipatifs, plus collectifs, plus offensifs et moins conservateurs »


« Un revenu des éleveurs allaitant structurellement et conjoncturellement le plus bas de toutes les productions agricoles, des cours plutôt bas cette année, des marqueurs d’endettement au rouge, des indicateurs de trésorerie au rouge, une prudence bancaire extrême et un moral bas », résumait Michel Reffay au sujet de la situation en élevage allaitant. Dans un tel contexte, si la filière ne reprend pas le dessus, « pardonnez-moi de vous le dire, mais c’est mort ! », lançait-il. Selon lui, « on travaille encore comme dans le bon vieux temps. On dégage avec des aides seulement… Mais, aujourd’hui, il n’y a plus d’aide ! ». Il s’interroge également sur les systèmes de production. « Doit-on transformer nécessairement les ruminants en granivore ? », questionnait-il. De plus, « il va falloir quand même aborder la question du croisement, même si cela choque ! Les éleveurs ne sont pas les conservateurs des races françaises. Il faut les utiliser ! ». Sans parler du côté « collectif » comme pour l’interprofession qui est, aujourd’hui, plus un lieu de conflit que de consensus.



Elevage allaitant
La question de la rentabilité…


« Pour sortir 1.000 € d'EBE, il faut 4.700 € d'actifs immobilisées hors foncier en élevage allaitant pour seulement 2.000 € en céréaliculture », rappelait Christophe Perrot, chargé de mission Economie de l'élevage et des territoires à l'Institut de l'élevage, lors du colloque Elevage et territoire du 13 novembre. Il justifie par ces chiffres « la crise » que vit l'élevage allaitant aujourd'hui et la disparition de cette activité sur le territoire. « C'est le secteur dans lequel il y a le plus faible niveau d'installation et le plus fort taux de vieillissement des actifs », continuait-il. 40 % du cheptel est détenu par des actifs de plus de 50 ans, contre 31 % en élevage caprin et 34 % en élevage laitier. Il s'inquiétait également, toutes productions d'élevage confondues, du niveau de la formation des futurs agriculteurs de demain : « un jeune de 18 ans qui a juste un Bac pro et qui a été apprenti sur la ferme de son père est mal armé » pour le contexte de volatilité des cours qui l'attend. De son côté, Pierre Dupraz, membre du GIS Elevage Demain, a lourdement insisté sur le fait que « l'élevage se réfléchit à long terme », notamment au niveau politique et ce manque de réflexion a été pour parti à l'origine des difficultés rencontrées par les agriculteurs, en Bretagne par exemple. D'après lui, « chez nous, on a trop tergiversé ! » par rapport à d'autres pays.