Coopération internationale
Première en France, six Tchadiens en études longues à Fontaines et en stages dans le Clunisois

Cédric Michelin
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Jeudi 22 août, c’était déjà la rentrée scolaire pour six étudiants, forts motivés. En effet, ces derniers viennent du Tchad et portent une partie de l’avenir des filières agricoles de ce pays d’Afrique centrale sur leurs jeunes épaules. Encadrés par la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire, en formation au lycée de Fontaines, ils seront aussi en stages dans des exploitations du Clunisois, « défrichant » ainsi la voie pour de futures délégations. Une première en France, qui a tout à apprendre aussi d’eux.

Première en France, six Tchadiens en études longues à Fontaines et en stages dans le Clunisois

Impressionnants de maturité ! Les six élèves venus du Tchad, avoisinent les 20 ans, mais savent déjà qu’ils veulent développer l’agriculture tchadienne et « créer des emplois » puisque tous ont la fibre entrepreneuriale. Devant une trentaine d’agriculteurs, d’élus et techniciens venus à Fontaines ce 22 août - pour faire la visite du lycée, de l’internat, de l’exploitation -, chacun d’eux a livré un petit bout du rêve qui les anime.

« Il n’y a pas de mot pour dire la chance d’être en France. Merci infiniment ! », remerciait chaleureusement Alain Doumram, comme ses cinq camarades. Lui entre en formation production animale (PA) à Fontaines. Au Tchad, il travaille dans une animalerie mais « la pratique reste toujours fragile alors que la France est mûre dans ce domaine », se voit-il déjà, « améliorer les races locales ». En effet, le Tchad est sur « un autre concept d'élevage avec 100 millions de têtes de ruminants, mais qui ne nourrissent pas les Hommes ». Car comme le disait le jeune fils d’agriculteurs, Abel Allarassem Kosmadje, « nous n’avons pas les moyens ou les compétences ». Pourtant, il ne baisse pas les bras et veut devenir chef de production agricole ou conseiller agricole. Pour cela, il intègre un BTS Acse à Fontaines. En toute franchise, Ngueodjingaye Rimasta, qui lui fera aussi une formation production animale, trouve que dans son pays, bien trop de jeunes Tchadiens connaissent mal l’agriculture et veulent rentrer dans la fonction publique. Dans la salle, beaucoup souriaient, remarquant les ressemblances avec de jeunes Français...

Soigner les animaux et l'humanité

Pas tous heureusement. À l’image de nos jeunes en filières agricoles qui veulent devenir agricultrices et agriculteurs, ou bien travailler dans les filières, ces jeunes tchadiens ont déjà un regard sur le monde particulièrement vif. Justine Boido Zara va intégrer le CS (certificat de spécialisation) production, transformation et commercialisation des produits fermiers, une formation se faisant en apprentissage d’un an. « L’élevage est la deuxième source de revenu tchadienne, mais elle est négligée. En élevage pourtant, tu peux être autonome, être ton propre entrepreneur et même embaucher d’autres jeunes et ainsi réduire le taux de chômage ». Elle, dont le papa est infirmier, a même un plus grand rêve, « sauver le monde à travers l’alimentation, en soignant les animaux et l’humanité ». Elle ne se met pas la pression et sait déjà qu’il faudra faire preuve de patience pour atteindre cet objectif. Mais sa volonté est inaltérable.

Thierry Nang Adoumandji, issu lui aussi d’une famille d’agriculteurs, a déjà une licence agroalimentaire et a travaillé dans un abattoir, dans un élevage de chèvres et de volailles ou en maraichage. Il se décrit comme « un jardinier dans l’élevage » et intègre le BTS Acse de Fontaines pour s’installer et réaliser son projet au Tchad. Ancien président du Parlement des enfants du Tchad, Josué Mbainaissem Rimbar sort d’une business school, voit déjà « le potentiel énorme » pour développer l’export dans les autres pays sahéliens. Il intègre un BTS Acse pour se perfectionner.

S'inspirer de la Saône-et-Loire

La délégation tchadienne profitait du tour de l’exploitation pour poser de nombreuses questions sur les savoir-faire, les matériels, la commercialisation… Le directeur de l’exploitation agricole, Thomas Bonnefoy leur expliquait le modèle technico-économique, bien inséré dans le « collectif » local, avec l’adhésion à des Cuma, la commercialisation via une coopérative ou via le magasin. Après la visite de Fontaines, les six jeunes partaient à la découverte d’Elva Novia, de la filière génétique charolaise chez le président de Charolais France, Hughes Pichard, à l’EDE pour voir comment la traçabilité peut apporter de la confiance et donc aussi de la valeur ajoutée. La présidente de Fontaines Sud Bourgogne, Anne Gonthier les recevait également le lendemain sur l’exploitation de ses fils pour voir un élevage laitier typique de notre département avec production de céréales. L’occasion aussi pour elle de montrer un exemple de transmission, mais aussi comment les « femmes, agricultrices, ont toutes leurs places dans les exploitations et sont reconnues dans les organisations professionnelles », ne cachant pas que les coutumes et lois Tchadiennes sont loin d’être égalitaires et à parité… comme en France du reste dans un degré moindre.

Au Tchad, les agriculteurs ont beaucoup de « connaissances empiriques », basés sur leurs expériences et transmission ancestrale, mais pour passer un nouveau cap, ils veulent maintenant y rajouter « ce qui marche ici, sans réinventer forcément la roue ». Cette « transition », comme l’appelle de ses vœux Amir Adoudou Artine, se fera à partir des étudiants qui « feront tache d’huile » dans son pays.  Un « cercle vertueux » que tout le monde souhaitait, sans sous-estimer l’ampleur du défi à relever. « Ce sera deux années de sacrifice. Sans pouvoir vous perdre dans les lumières de la France. Mais, vous n’en serez que plus heureux », concluait Amir Adoudou Artine en guise d’objectif final.

Une première en France

Une première en France

Devant de nombreux représentants du Département, de la Région, d’élus du Clunisois, d’agricultrice de la section de la FDSEA ou encore de la nouvelle députée Européenne, Valérie Deloge, la présidente du lycée, Anne Gonthier débutait ce « moment solennel avec un immense plaisir », se disait-elle honoré en ce jour d’accueillir les six nouveaux élèves si particulier. Car l’an dernier, un élève Tchadien avait déjà « défriché » le chemin avec l’Afdi BFC. L'an prochain, une vingtaine d'élèves pourraient suivre. Ils seront tous mélangés avec leurs nouveaux camarades, mais auront la possibilité de se retrouver aussi entre eux et éviter ainsi d’avoir trop le mal du pays, comme certains prédécesseurs ont pu légitiment ressentir. « Nous n’avions jamais accueilli avant sur un ou deux ans des étudiants en coopération internationale pour les former, mais ces jeunes sont éblouissants de positivisme et d’envie de bien faire », les saluait-elle. Pour son directeur, Pierre Botheron, « c’est une belle aventure qui commence. Le lycée manque parfois de diversité alors que c’est important d’apprendre le vivre ensemble », voyait-il déjà des échanges enrichissants mutuels entre élèves français et tchadiens. Le président de la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire, Bernard Lacour voit dans cette coopération d’un nouveau genre un « esprit de compagnonnage » pour « s’apporter mutuellement des savoirs », venant du Tchad et peut-être demain d’autres pays d’Afrique (Sénégal…). Lui comme les autres remerciaient aussi sincèrement les formateurs et maitres de stages/apprentissage, "recrutés" par Marine Seckler, ancienne présidente des JA71, avec l’aide de François Bonnetain pour la Comcom du Clunisois qui mettra à disposition des lieux pour que les six puissent « débriefer » les soirs de stages. L’occasion aussi de "cours du soir" avec un programme riche autour des expérimentations de Ferm’Inov à Jalogny ou sur l’histoire et la culture française.

Agnès Chavanon, secrétaire générale de la préfecture qui était accompagnée de Bénédicte Cretin directrice adjointe de la DDT, trouvait ce partenariat « enthousiasmant » : « quel bel exemple pour beaucoup de nos jeunes à l’heure d’un renouvellement des générations complexe en agriculture ».

La situation géopolitique et les plans internationaux de coopération ont atteint certaines limites, surtout ces dernières années. Ahmed Moussa N’Game, président de la Fédération nationale des Organisations de producteurs de semences du Tchad, est né Français, avant l’indépendance donc, et sait que la « formation est l’essence même du progrès ». Lui qui préside le CFADE et dirige l’Escor Agro, se montre lucide. « Après 50 ans de coopération internationale à l’ancienne, cela ne marche pas. Aujourd’hui, ce concept va marquer le début d’une nouvelle ère basé sur l’échange, la solidarité, la coopération ». Son compatriote, Amir Adoudou Artine a aussi été Ministre de l’élevage dans son pays, mise maintenant sur le système éducatif, Français notamment, pour « initier des projets bankable » (finançable et rentable) et rêve déjà de reproduire à termes « un petit Fontaines au Tchad » pour former de futures générations. Lui qui se définit avant tout comme éleveur, croise dans son élevage différentes races de zébus avec des montbéliardes ou des tarentaises pour augmenter leur productivité laitière déjà. Il le dit sans ambages : « on peut trouver des financeurs en Afrique, on peut acheter du matériel en Chine ou en Europe mais on a besoin de savoir-faire et de gens compétents ». C'est pourquoi ce nouveau concept, "fabriqué" avec la Saône-et-Loire, est si novateur et une première en France. Il est le fruit aussi du travail acharné de Christophe Masson, salué par tous les présents. C’est en grande partie grâce à lui, et sa collègue à la chambre d’Agriculture, Oriane Benistant, que les six Tchadiens « se sentent déjà si bien accueillis » malgré un parcours administratif "nouveau" : entre statut de travailleur et d'étudiant, remerciaient la délégation Tchadienne et l'ambassadeur de France au Tchad, Antonin Raoust en visio.