Fromages au lait cru
La microflore du lait cru, un territoire qui reste à explorer
Le rôle de la microflore des laits suscite de plus en plus l’intérêt des chercheurs mais aussi des producteurs fermiers. Derrière cette connaissance, un enjeu de santé publique mais aussi un levier d’amélioration des pratiques agricoles.
Depuis les années 50, entre pasteurisation et lait cru, les tensions sont récurrentes au sein du Codex Alimentarius, le programme des Nations Unies en charge de l’élaboration des normes alimentaires internationales. D’un côté les Anglo-saxons, partisans du tout sanitaire ; de l’autre la France et quelques pays d’Europe du sud, qui défendent la notion de terroir. Élise Demeulenaere, anthropologue au CNRS, a résumé l’opposition en ces termes lors du colloque sur les fromages au lait cru qui s’est déroulé mi-novembre à Aurillac : « Il y a une pression hygiéniste. Elle pèse sur les producteurs fermiers, à tel point que l’on constate une érosion des microflores du lait ».
L’étude « Pasture », menée depuis quinze ans dans cinq pays européens, a apporté une contribution importante à ce débat. Alors que près d’un tiers de la population souffre d’allergies (contre 5 % dans les années 50), les chercheurs ont étudié le rôle de l’environnement de la ferme dans la propagation de ces maladies. Deux cohortes de 500 personnes ont été désignées. L’une vivant à la ferme, l’autre en zone urbaine. Le régime alimentaire des femmes enceintes et des enfants jusqu’à l’âge de quinze ans a été recueilli. Les résultats, présentés par Dominique-Angèle Vuitton, médecin et professeur d’immunologie à l’université de Besançon, ont de quoi dérouter les partisans de l’hygiénisme. Les personnes vivant à la ferme, au contact des animaux et des étables, se nourrissant, même pendant la grossesse, et ensuite dès le plus jeune âge, de lait cru, de yaourts et de beurre « de la ferme », sont en effet moins sensibles aux infections respiratoires, aux rhino-pharyngites et aux otites, que l’autre groupe.
Lait cru et sensibilité aux allergies
Dominique-Angèle Vuitton en tire la conclusion que « vivre à la ferme, consommer du lait cru et des produits laitiers diversifiés dès l’âge de deux mois, participent à la construction d’un système immunitaire plus équilibré. Par ailleurs, les acides gras du lait, riches en omega 3, sont bénéfiques ». Elle va même jusqu’à conseiller de donner du Roquefort, du Comté ou du Saint-Nectaire aux jeunes enfants. Ce qui lui a valu d’être ovationnée par le public. En France, la DGAL déconseille cependant la consommation de fromages au lait cru aux femmes enceintes et aux enfants jusqu’à cinq ans. Ces pathogènes s’adaptent et restent dangereux.
Le rôle de la microflore des laits suscite en tout cas de plus en plus l’intérêt des chercheurs, mais aussi des producteurs fermiers. « La microbiologie avance de façon extraordinaire », affirme Jean-Luc Angot, inspecteur général de santé publique vétérinaire. « L’amélioration de la connaissance dans ce domaine est indispensable ».
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Plusieurs programmes de recherches en cours
Profitant des avancées dans le séquençage du génome, plusieurs études ont été lancées pour connaître plus finement le rôle des écosystèmes microbiens. Le projet MétaPDOcheese, lancé dans le cadre du réseau « fromages de terroirs », vise à faire la cartographie du génome des microflores des laits de 44 AOP fromagères et d’identifier ensuite les espèces autochtones, clef de voûte de chaque terroir sur lesquelles se fonde sa typicité. Pour Françoise Irlinger, chercheuse à l’Inrae et pilote de cette étude « l’image de la diversité est inscrite sur l’Adn. »
Le projet Tandem menée par Céline Delbes de l’Inrae va étudier quant à lui la flore microbienne de la prairie jusqu’au fromage pour mieux comprendre comment ces écosystèmes réagissent selon un système agro-écologique ou intensif. La Fondation pour la biodiversité fromagère va compiler 2500 publications afin de faire une synthèse complète des avantages et des risques de la consommation de fromages au lait cru et sur la manière dont ils agissent sur le microbiote digestif. Ce livre blanc sera publié en 2024. Ces recherches devraient permettre aux producteurs fermiers de mieux appréhender les points sensibles au cours de la fabrication des fromages au lait cru : éviter les fourrages fermentés, le contact du lait avec les matières organiques, envoyer le veau en fin de traite pour vider le pis et éviter les mammites, déceler les communautés microbiennes dans le caillé et le petit lait, etc.