Prédation par des loups
Déclassement du loup : une première étape franchie
Le Comité des représentants permanents des gouvernements des États membres de l'Union européenne (Coreper) a donné son feu vert, le 25 septembre, pour revoir le statut du loup. Une très bonne nouvelle pour les agriculteurs, alors que les associations de protection des animaux crient au loup.
Voilà plusieurs années que les agriculteurs alertaient les pouvoirs publics de leurs pays respectifs, mais aussi la Commission européenne, sur la multiplication de la population lupine et surtout des attaques contre les troupeaux. Ils ont remporté une première victoire le 25 septembre. Le Comité des représentants permanents des gouvernements des États membres de l’Union européenne (Coreper) a en effet validé le principe d’une modification du statut de protection du loup dans la Convention de Berne. En clair, le statut du loup passerait du statut de « protection stricte » à celui de « protection simple ».
Dans l’hypothèse où ce déclassement serait acté, le loup pourrait être plus facilement éliminé. Il faut dire que les dégâts qu’il cause sont assez nombreux : ils sont responsables de la mort de 65.500 bêtes chaque année en Europe, parmi lesquels 73 % de moutons et chèvres, 19 % de vaches et 6 % de chevaux et d’ânes. La Commission européenne a longtemps fait la sourde oreille sur ce sujet jusqu’à ce qu’au mois de septembre 2022, le poney « Dolly » de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, ait été tué par un loup. Le départ du vice-président de la Commission, Frans Timmermans et du Commissaire à l’Environnement, Virginijus Sinkevičius* ont « facilité le traitement du dossier », concède Christiane Lambert présidente du Copa**.
« Mieux réguler ce prédateur »
Le Copa-Cogeca, salue d’ailleurs « un pas en avant majeur » et la Fédération européenne des chasseurs (Face) une « victoire ». De son côté, l’eurodéputée française, Céline Imart, y voit « une première victoire salutaire » ainsi qu’un « répit » pour les éleveurs « durement touchés » par les attaques de loups. Même analyse pour l’eurodéputée de Saône-et-Loire, éleveuse de moutons, elle-même victime de prédation par un loup, déclarant « que cet accord pour un assouplissement des protections de cette espèce permettra de mieux réguler les populations de loups ».
Sur le territoire national, la population du loup a doublé entre 2017 et 2023 et les dommages sont pratiquement stables, autour de 12.000 bêtes par an. Au plan européen, pas moins de 20.000 individus sont présents dans 23 pays dont environ 2.500 en Espagne et 1.100 en France, 1.003 selon un récent décompte d’ONG environnementales***… donc a minima, voire clairement sous-évalué. Ces dernières sont naturellement vent debout contre cette brèche ouverte et dénoncent « une décision scandaleuse et un jour honteux pour l’Union Européenne ». Il n’est pas certain que ces ONG trouvent un écho particulier auprès de la nouvelle ministre de l’Agriculture. Lors de la passation de pouvoir le 23 septembre, Annie Genevard (Doubs) avait évoqué la prédation en ces termes : « Ces agriculteurs que je vois solides, déterminés, je les ai vus tout d’un coup fondre en larmes parce qu’ils aiment leurs bêtes, Je pense qu’il faudra que nous reparlions de ce sujet important ».
Contrairement aux idées fausses véhiculées par certaines ONG, les agriculteurs ne sont pas anti-loups. « Ce qu’ils veulent c’est zéro attaque », a précisé Christiane Lambert, satisfaite qu’à terme « on puisse mieux réguler ce prédateur ». Mais le chemin est encore long avant le changement de statut : la proposition du Coreper doit d’abord être examinée début décembre lors d’une réunion de la Convention de Berne sur la conservation de la vie sauvage. Il faut ensuite adapter la directive Habitats-Faune-Flore de 1992. Le processus devrait prendre plusieurs mois.
(*) Tous les deux élus députés européens en juin 2024
(**) Jusqu’au 27 septembre 2024.
(***) Selon les scientifiques, le seuil de viabilité de l’espèce est estimé à 500 loups.
« Le fruit du travail syndical »
Dans un communiqué de presse commun du 27 septembre, huit organisations agricoles dont la FNSEA et Jeunes agriculteurs voient dans la décision de Bruxelles de déclasser le loup « une première étape indispensable » et surtout « le fruit d’un travail syndical long et persévérant pour Jeunes Agriculteurs, la FNSEA et ses associations spécialisées animales (FNO, FNB, FNPL, FNC, FNEC)* avec l’appui du CEJA et du COPA** auprès des décideurs communautaires et nationaux ». Les deux syndicats agricoles voient dans cette décision le moyen d’appliquer « une vraie politique de régulation de la population lupine capable de protéger les éleveurs, de leur garantir de bonnes conditions de travail et de préserver leurs troupeaux ». Ils demandent également de meilleures indemnisations pour les pertes indirectes, un allègement des procédures administratives, et l’autorisation des tirs de défense. « Le déclassement serait un signe positif dès lors que l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé que 2026 sera l’année internationale du pastoralisme. Maintenons le cap ! » conclut le communiqué.
(*) Ovins, bovins, lait, cheval et chèvres
(**) CEJA : Comité européen des Jeunes agriculteurs. COPA : Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne.
479 bovins victimes du loup en 2023, explosion en Saône-et-Loire
D’après le bilan 2023 publié par la Dreal Auvergne-Rhône-Alpes (préfecture), 479 bovins ont été victimes du loup en France l’année passée (+ 15 % par rapport à 2022), pour 335 dossiers d’indemnisation (+ 18 %). Des chiffres qui comprennent les cas pour lesquels l’origine des dommages reste « indéterminée », soit presque la moitié en bovins. Sur l’ensemble des animaux d’élevage, les bovins représentent 7,5 % des attaques en 2023 (contre 82,8 % pour les ovins). « En valeur absolue comme en valeur relative, les dommages du loup sur les bovins augmentent régulièrement depuis 13 ans », relèvent les pouvoirs publics dans leur note.
Même si 25 départements sont concernés, les attaques de loups sur bovins sont « surtout localisées dans les départements alpins et dans une moindre mesure en région Bourgogne-Franche-Comté ». Ces attaques « peuvent avoir lieu en altitude », mais elles « s’observent davantage en plaine et moyenne montagne ». En particulier, les cas de prédation ont explosé l’année dernière en Saône-et-Loire, important bassin bovin, avec 28 constats imputés à la prédation (+ 833 %), pour 34 victimes (multiplication par dix). En termes de saisonnalité, la période de mise à l’herbe (mai à octobre) apparaît logiquement comme la plus à risque.
Au niveau national, les loups s’attaquent avant tout aux jeunes animaux, qui représentent deux tiers des victimes. « La période d’élevage des jeunes bovins est donc une période de sensibilité accrue, qui pourrait justifier un renforcement des mesures de réduction de vulnérabilité », préviennent les pouvoirs publics. « Il est fortement conseillé de diminuer l’exposition des bêtes les plus vulnérables (jeunes, périodes de mise bas) ».
Une lueur d'espoir pour la FNO
« C’est une lueur d’espoir dans toutes les difficultés que notre profession traverse actuellement avec les crises sanitaires », a commenté Michèle Boudoin, présidente de la FNO. « Car à la fièvre catarrhale ovine peut aussi s’ajouter la prédation », a-t-elle précisé. « Le chemin de croix a été long » et « nous avons dû batailler ferme avec Christiane Lambert et le Copa pour faire prendre conscience du problème à Bruxelles ». Pour la FNO, il n’est pas question de supprimer de la biodiversité. « Il s’agit simplement de supprimer le loup fautif et de faire comprendre qu’une coexistence est possible. La faune sauvage doit aussi respecter l’économie de nos territoires », a-t-elle affirmé, rejetant les visions chimériques et « fantasmés » de certains urbains sur les campagnes. « Cette brèche ouverte, dont nous souhaitons qu’elle aille au bout de sa logique, c’est aussi redonner la parole aux ruraux. Cette parole doit aussi exister », a-t-elle conclu.
Une vraie coalition... sauf Française
Comment expliquer cette initiative politique ? Les changements récents de position du Luxembourg et surtout de l’Allemagne (qui s’était jusqu’à présent abstenue) ont permis de faire basculer la majorité qualifiée lors d’un vote des ambassadeurs de l’Union Européenne. Un vote confirmé le 26 septembre en marge de la réunion du Conseil Compétitivité. Les Vingt-sept devaient prendre une décision avant le 1er octobre, soit deux mois avant la réunion du Comité permanent de la Convention de Berne qui se tiendra du 2 au 6 décembre, afin d’inscrire le sujet à l’ordre du jour. L’UE va demander à faire passer le statut du loup d’une protection stricte (annexe II) à une protection simple (annexe III). Pour être adoptée, cette proposition devra recueillir une majorité des deux tiers des parties contractantes à la Convention de Berne qui s’élève à une cinquantaine (la plupart des pays européens et quelques pays africains concernés par la question des oiseaux migrateurs). Si la Convention confirme ce déclassement, l’UE pourra alors, dans la foulée, adopter un changement de statut dans le cadre de la directive européenne Habitats (de l’annexe IV à l’annexe V).
Selon la Convention de Berne et la directive Habitats, si une espèce est « protégée » (et non plus « strictement protégée »), la chasse peut être autorisée, en tenant compte de l’état de conservation des populations. La chasse à cette espèce doit être soigneusement réglementée par les États membres qui sont toujours tenus de veiller à ce que l’état de conservation favorable soit atteint et maintenu pour les populations de leurs régions biogéographiques.
Fait politique mineur, mais ô combien symbolique, et qui devrait servir d'exemple en France pour une meilleure coalition ou cohabitation, la ministre allemande de l’environnement, Steffi Lemke, membre du parti les Verts a déclaré : « la population de loups s’est tellement développée ces dernières années que cette décision » est « nécessaire pour les éleveurs ». À bon entendeur pour ses confrères et alliés Français ?