Des élus et agents des onze chambres d’agriculture de la région travaillent depuis quinze mois sur les trajectoires possibles de l'agriculture d'Auvergne-Rhône-Alpes à l’horizon 2040.
Depuis 15 mois, encadrés par un cabinet spécialisé, 22 agriculteurs élus et 15 agents des onze chambres d’agriculture d'Auvergne-Rhône-Alpes se réunissent pour un travail prospectif inédit à l'échelle de la région. Leur mission consiste à définir à quoi pourrait ressembler l'agriculture d'Auvergne-Rhône-Alpes en 2040.
Par et pour les agriculteurs
Le premier scénario, jugé comme le plus probable, a priori, poursuit les évolutions à l'œuvre. Baptisé « beaucoup d'exigences avec peu de moyens », il décrit un environnement où l'urgence climatique en 2040 aura encore renforcé les réglementations imposées au secteur agricole, sans coordination ni véritable fil conducteur des politiques agricoles aux différents échelons, alternant le « stop-and-go ». Ce scénario s'accompagne d'une double dualité au sein des exploitations : une dualité entre stratégie de volumes et stratégie d'accroissement de valeur des produits, et une autre dualité entre la taille et les moyens d'exploitation. S'il se traduit par une diversification des activités et des revenus, des conditions de travail plus favorables et attractives permises par la modernisation, ce scénario n'en reste pas moins synonyme de recul du nombre d'exploitations, des investissements par manque de visibilité et rentabilité, de baisse des cheptels et de la production.
Territorialisation vs financiarisation
Le second scénario mise sur un « pacte de productivité » mais accompagné de tensions autour de l'agriculture. Cette fois, la souveraineté alimentaire prime dans les préoccupations politiques françaises et européennes, après l’enchaînement de crises qui ont rendu incertain l'approvisionnement. La Pac devient Paac, politique agricole et alimentaire commune. Ce pacte de productivité assouplit les normes environnementales, sociales et de bien-être animal pour une intensification de la production, dopée par ailleurs par les progrès génétiques et robotiques. On assiste à une spécialisation des territoires entre zones intensives et zones sanctuarisées, réservoirs de biodiversité, tandis que de nouveaux espaces sont mis en production (jachères…) et que l'agriculture urbaine et hors-sol se développe. Séduisante par certains aspects (compétitivité accrue…), cette version pèche par le risque de dépendance accrue aux intrants et aux nouvelles technologies, avec une perte de savoir-faire traditionnels, de motivation et de sens du métier, une automatisation excessive, une substitution du capital travail… « Ce scénario ne serait pas à l'avantage de la région Aura qui deviendrait, en quelque sorte, la caution environnementale du reste du territoire », a résumé Nicolas Bardy, élu de la chambre du Cantal. Troisième option, celle dite « d'une territorialisation de l'agriculture d'Auvergne-Rhône-Alpes ». C'est le scénario (plébiscité par l'assistance) d'une décentralisation des politiques agricoles publiques, la Pac s’apparentant désormais à un outil au service des territoires et de leurs spécificités. Profession et collectivités travaillent main dans la main pour encourager la production et la consommation locales (en restauration hors foyer…) via la préservation du foncier et de la ressource en eau, le soutien aux filières locales, du marketing territorial. Création d'emplois, revitalisation des territoires, politiques agricoles co-construites, transmissions facilitées… sont au rang des opportunités de ce scénario dont le revers de la médaille est une perte d’indépendance vis-à-vis des collectivités, le risque d'inégalités et de concurrence entre les régions, selon les moyens et les bassins de population des territoires.
Le quatrième scénario se projette dans une vision radicalement opposée, celle d'une libéralisation très forte de l'agriculture dominée par des firmes. État et Europe se désengagent du soutien à l'agriculture désormais livrée à la financiarisation et aux capitaux étrangers. Ces derniers investissent dans les zones les plus facilement exploitables et rentables, le conseil agricole est privatisé, le métier d'agriculteur se salarialise, le chef d'exploitation devenant gestionnaire d'exploitation de firme. Des petites et moyennes exploitations résistent par la diversification sur des marchés de niche. Perte de contrôle sur les exploitations et plus globalement de la profession agricole, perte de sens du métier, de savoir-faire, désertification de territoires, standardisation, impact sur l'environnement allongent la liste des menaces.
Virage agroécologique
Le dernier et cinquième scénario envisage un fort virage agroécologique, entre opportunités et contraintes. Sobriété et végétalisation des protéines sont au menu de la consommation, la priorité est donnée à l’environnement et à la lutte contre les émissions de carbone au détriment de la production agricole, et notamment de l'élevage. Le financement des projets agricoles se diversifie avec du mécénat, du financement RSE des entreprises ou encore du financement participatif… Ce scénario a le mérite de rapprocher agriculteur et citoyen, de voir l'émergence de nouvelles productions, de renforcer l'autonomie alimentaire et la création d'emplois mais le métier évolue vers une agriculture de cueillette avec une réduction des surfaces, des cheptels, de la production et de la souveraineté alimentaire, une charge de travail accrue, une dépendance aux importations… Comme l'a indiqué Alexia Deltreil, en charge du projet à la chambre régionale, « aucun de ces scénarios n'est tout rose ni tout noir, ils dessinent des possibles avec pour leitmotiv que prévoir et agir est toujours préférable à subir ».