« Le marché des produits à base de chanvre offre des perspectives de développement énormes » a annoncé Franck Barbier, agriculteur en Seine-et-Marne, président Planet Chanvre mais aussi de l’interprofession Interchanvre, à l’occasion d’une table ronde organisée à « l’Académie d’Agriculture de France » par l’Association française des journalistes agricoles (AFJA).
Cette plante, connue depuis le néolithique, et dont l’âge d’or coïncide avec celui de la marine à voile, dont elle fournissait les cordages, délaissée au siècle dernier, connaît actuellement un regain d’intérêt en raison de sa rusticité idéale pour s’adapter au changement climatique. « C’est une culture simple, qui nécessite peu d’interventions, ni herbicide, ni fongicide, très résiliente à la sécheresse en raison d’un système racinaire qui s’enfonce jusqu’à deux mètres de profondeur », explique Franck Barbier, « et surtout, poursuit-il, elle a une capacité à capter le carbone dans la fibre, de façon pérenne ».
La France est actuellement le premier producteur en Europe avec 40 % des volumes. 1 500 agriculteurs en cultivent, les surfaces ont été multipliées par trois en dix ans pour atteindre 20 000 hectares, et si les investissements sont au rendez-vous, elles pourraient encore doubler d’ici cinq ans. Car les utilisations du chanvre sont multiples. On peut l’utiliser dans le textile, en le mélangeant au coton. Ce qui réduirait d’autant les importations du coton, plante très gourmande en eau. L’entreprise « Le slip français » spécialisée dans les sous-vêtements, envisage d’en incorporer de plus en plus et même de créer en France une filature de chanvre dès 2025, de manière à améliorer son bilan environnemental. « Un hectare de chanvre capte autant de carbone qu’un hectare de forêt », déclare Léa Marie, directrice industrielle de la célèbre marque. Dans la construction, la laine de chanvre remplace avantageusement la laine de verre comme matériau isolant. Spécialisée dans cette production, une filiale de la coopérative Cavac en Vendée prévoit de tripler ses livraisons dans un avenir proche. La chènevotte, un granulat obtenu à partir de chanvre constitue un excellent paillage à litière. Enfin, près de 13 millions de véhicules comportent déjà des pièces de chanvre au lieu de la fibre de verre.
Des propriétés stupéfiantes pour des utilisations thérapeutiques
A côté de ces débouchés industriels, de nouvelles utilisations du chanvre pourraient voir le jour. Selon les variétés et les méthodes de culture, la fleur de cette même plante produit en effet des substances psychoactives et l’on parle alors de cannabis, ou « marijuana », selon l’argot mexicain qui signifie « mauvaise cigarette ». La différence entre le cannabis et le chanvre est la teneur en tétrahydrocannabinol (THC) : plus ou moins 0,3 % selon les variétés. Au-dessus de ce seuil, c’est un stupéfiant. Or, d’après les travaux du professeur israélien Raphaël Mechoulam, les principes actifs du THC permettent de traiter de nombreuses pathologies, d’atténuer les douleurs des patients en soins palliatifs, ou frappés de sclérose en plaques. En Allemagne cette thérapie, autorisée, est prescrite et remboursée à près de 130 000 malades depuis 2017. En France, ces produits sont encore interdits mais une expérimentation est en cours sous l’égide de l’agence nationale de sécurité du médicament. Plusieurs laboratoires pharmaceutiques et « jeunes pousses » sont engagés dans ces recherches. « Nos serres ressemblent à des laboratoires où la combinaison est obligatoire. La production se fait dans des conditions de culture contraintes, dans un environnement confidentiel et sécurisé », explique Hughes Péribère, fondateur de l’entreprise de Biotech « Overseed » qui prévoit, si la réglementation est alors arrêtée, de commercialiser ses premiers médicaments en 2024.
Autre marché dont l’avenir est en suspens, celui du CBD, ou cannabidiol, dont les bienfaits sont reconnus pour lutter contre les états anxiogènes. Les produits, issus de la fleur de cannabis, sont de l’isolat (de la poudre), de l’huile et se déclinent sous forme de boissons ou d’infusion. Leur teneur en THC doit être inférieure à 0,2 %. Depuis l’autorisation par la Cour de Justice Européenne en 2020, plus de 2 000 boutiques ont fait leur apparition en France et le marché est en croissance. Mais la récente interdiction de vendre des fleurs entières pourrait freiner ce développement. Pour ce secteur, dont les ventes atteignent plusieurs centaines de millions d’euros, les acteurs attendent une plus grande stabilité juridique.
Une résolution du Sénat en faveur de la filière chanvre
A l’initiative de Guillaume Gontard, sénateur écologiste de l’Isère, le Sénat a adopté le 17 novembre une proposition de résolution pour soutenir la filière industrielle du chanvre et clarifier la réglementation du CBD.
Tous partis politiques confondus les sénateurs ont reconnu les perspectives encourageantes de développement de la culture du chanvre soutenue par ses multiples usages industriels, textile, construction et plasturgie. Tous ont souligné l’intérêt de la redécouverte de cette plante en raison de son rôle bénéfique dans la transition écologique et énergétique. Le marché pourrait représenter de 1,5 à 2,5 milliards d’euros d’ici cinq ans et créer 20 000 emplois. Parmi les mesures suggérées les sénateurs ont donc proposé au gouvernement de « mettre en place des dispositifs de subvention et d’investissement pour répondre aux besoins de la filière française du chanvre… afin de contribuer à la décarbonation de l’économie. » Autrement dit un meilleur accompagnement de l’Etat pour cette filière qui n’a pas bénéficié du Plan de Relance et une prise en compte des produits à base de chanvre comme matériau biosourcé afin qu’ils bénéficient des aides en vigueur.
Concernant le marché du CBD les sénateurs demandent « l’autorisation de la vente au détail de la fleur et de la feuille de chanvre », ce qui est aujourd’hui interdit. Ils invitent le gouvernement à instaurer une obligation de déclarations des cultures de chanvre et de leurs destinations ainsi qu’une cartographie de la production française. Les sénateurs demandent aussi une meilleure définition des produits relevant du bien-être et de la consommation (CBD) et de ceux destinés à la pharmacopée.
Pour les sénateurs ces recommandations au gouvernement sont nécessaires pour éviter que cette filière ne prenne du retard face à ses concurrents étrangers. Notons que cette proposition de résolution n’a pas force de loi. C’est plutôt une déclaration de principe pour expliquer la position de la Chambre haute.