Règlements, normes, lois…
Les lois sont-elles sources d’opportunités ?
Avant les grandes manifestations agricoles et viticoles de ce début d’année, le 18 janvier à Beaune, la Business school of Burgundy (BSB) Junior consulting a posé la question si le secteur vitivinicole peut paradoxalement tirer profit des évolutions réglementaires ?
Présent dans la salle lors de la table ronde, le directeur de l’Interprofession, Sylvain Naulin rappelait (lire notre précédent article) : « bizarrement, la loi Evin nous protège aussi des grands groupes de bières et de spiritueux qui ont des moyens colossaux », bien supérieurs au pourtant 6 millions d’euros de budget consacrés à la communication/promotion sur les vins de Bourgogne par le BIVB. Un bon résumé de la contradiction qui existe en chacun de nous tous, confrontés à toujours plus de lois, normes, règlements, cahiers des charges, injonctions… parfois contradictoires justement.
En ce 18 janvier, la nouvelle réglementation sur l’étiquetage questionnait plus précisément la filière vins. En effet, depuis le 8 décembre 2023, est entrée en vigueur l’obligation d’afficher toujours plus d’informations –nutritionnelles notamment– sur les étiquettes des bouteilles. Des aménagements ont été prévus par les législateurs pour ne pas surcharger visuellement les bouteilles. La profession a obtenu le droit d’utiliser des liens Internet ou un QR code renvoyant vers. C’est le bon côté restant de la pandémie de Covid qui a obligé le monde entier à se saisir de ces codes-barres 2D. L’objectif des législateurs étant d’apporter « davantage de transparence » aux consommateurs. Une bonne chose en théorie mais qui n’était pas sans amener des débats entre les intervenants à la table ronde et la salle.
Fin de la spécificité des vins
Pour en débattre, Laura Geleziunas, Jean-Claude Ruf et Adrien Tréchot, respectivement secrétaire adjointe de la Fédération internationale des vins, bières et spiritueux, directeur scientifique de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) et fondateur de la start-up dansmabouteille.
Jean-Claude Ruf posait le cadre global, rappelant que cette « réglementation vient rejoindre le codex alimentarius », ce programme commun entre l’ONU (Nations Unis) et l’OMS (Organisation mondiale de la santé) qui définit le cadre mondial pour l’agriculture et l’alimentation. « Ce règlement Européen vient mettre fin à notre spécificité (des vins, NDLR) dans l’agroalimentaire », dont font partie de fait les vins, comme tout produit agricole du moment qu’il est transformé puis consommé. Les autres produits agricoles étant déjà soumis au Nutriscore par exemple ou devant afficher la liste des ingrédients depuis longtemps.
Laura Geleziunas confirmait et rappelait aussi que les « opérateurs (vins, bières et spiritueux) ont eu le temps de voir venir » cette réglementation et ont donc « poussé ce QR code » pour avoir sur l’étiquette un outil simple permettant d’informer les consommateurs « sur la "recette" du vin qui peut changer selon les années ». L’autre avantage du QR code et d’Internet étant aussi d’avoir la possibilité, avec la géolocalisation, d’afficher ces informations « traduites dans la langue du pays », et ce toujours avec le même QR code. Reste encore bien des points techniques incertains, reconnaissaient les deux experts, alors que dès l’an prochain, les vins mis sur les marchés devront afficher ces informations.
Pas assez ou trop d’informations ?
Adrien Tréchot mettait alors les « pieds dans le plat » ou plutôt dans la bouteille ici. Avec recul, puisqu’ayant lancé sa plateforme en 2017 pour que les viticulteurs puissent afficher déjà ce type d’informations bien avant l’obligation, le jeune entrepreneur rappelle qu’il ne suffit pas d’être « transparent » avec les clients, il faut aussi les éduquer et leur donner « une grille de lecture, indispensable ». Ce fils de vignerons comprend les « consomm’acteurs venant chercher des informations », sait que derrière cela « orientera ses dépenses » pour, espère-t-il, « avoir un monde meilleur ». Encore faut-il donc que les consommateurs est une culture des itinéraires techniques, non plus forcément à la vigne uniquement, mais aussi au chai lors des étapes de vinification. Lui qui se dit « fier de ses racines » rajoute « n’avoir rien à cacher » et prêt à expliquer le moindre « additif », comme il le fait dans sa propre famille.
Ce que confirme Jean-Claude Ruf, « c’est une opportunité pour le secteur de communiquer sur la façon dont sont faits les vins ». Mais gare aux mots ou aux idées préconçues, voire mots péjoratifs. Au lieu de dire additifs, parler plutôt de « correctifs ou d’ajustements », histoire de « communiquer la naturalité des vins » comparativement à d’autres produits plus transformés. La filière vin est-elle prête à parler des calories, qualité nutritionnelle, des auxiliaires technologiques utilisés… ? Rien n’est moins sûr encore aujourd’hui. Surtout, au vu des polémiques médiatiques et des idéologues. De quoi « effrayer » plus d’un vigneron. La FIVS le reconnaît, cela va « changer les habitudes, le vin ne peut pas y échapper ». « Cacher » ses informations serait d’ailleurs mal perçu et créerait encore plus le soupçon, estime l’experte. « Cela doit devenir une opportunité pour communiquer sur les ingrédients et surtout les additifs, à quoi ils servent pour ne pas effrayer », les clients, reconnaissant que « l’Europe est un peu le laboratoire » en la matière, espérant imposer cette norme pour « favoriser » sa balance « import-export » à l’international. Encore faudra-t-il que les systèmes de normes et classifications soient « alignés et interopérables ».
Créer un nouveau lien avec le consommateur
Décidément, poil à gratter, Adrien Tréchot se félicite de ce changement d’état d’esprit, voir cette prise de conscience de remettre « au centre le consommateur » et de vouloir « répondre à la demande sociétale ». En 2017, avant de lancer sa start-up, il était le « premier à aller voir la DGCCRF » en ce sens qui lui aurait répondu : « interdit d’en parler ». Persévérant dans son projet au potentiel commercial « proche de zéro », lui disait-on, aujourd’hui, il peut se targuer d’avoir devancé tout le monde et encourageait les étudiants en commerce de la BSB « de saisir les opportunités d’être le premier secteur à aller plus loin » et « créer du lien avec les consommateurs », avec ce type d’informations.
Toujours raisonnable, l’OIV lui rétorque que la filière vin mentionne déjà beaucoup d’informations (marque, origine géographique…) et qu’il est « important de garder en tête » que ce sont ces critères pour l’heure qui « orientent l’acte d’achat, notamment en grandes surfaces ou la décision ne dure que quelques secondes ». Reste le précédent et actuel succès de l’application Yuka qui a contraint des industriels à revoir leurs recettes pour être mieux notés dans l’application…
Demain, risques cancer et risques environnementaux ?
Et Jean-Claude Ruf de prévenir sur le train des normes qui poursuit sa marche forcée à grande vitesse : « le codex pousse pour améliorer les indications en termes de santés et demain de durabilité ». L’Irlande est en train de réfléchir à des indicateurs de risque « d’apparition de cancers ». Les polémiques autour de la charcuterie ou viandes transformées, « cancérogènes probables » selon le classement du CIRC dépendant justement de l’OMS qui édite le codex. La FIVS freine des quatre fers pour l’heure, voyant trop de « débats scientifiques, de polémiques et de risque de fragmentation du marché Européen », avec surtout le risque d’exclure « beaucoup de petits producteurs » sans « harmonisation des avertissements sanitaires », a déjà alerté la FIVS au niveau des institutions Européennes qui travaillent dessus. Avant cette ultime étape, une autre intermédiaire est plus avancée. Celle de la « durabilité » comprenant les aspects économiques, sociales et environnementales (RSE) qui en viticulture intègrent également « la culture et le patrimoine », selon les principes généraux de l’OIV. De nombreuses normes privées sont là aussi apparues, avec des cahiers des charges de grands opérateurs ou de pays, tels les labels (Bio, HVE…) ou des monopoles (accès au magasin d’État). « Dire aujourd’hui qu’on respecte la norme d’un pays, n’est plus forcément suffisant. Un millefeuille réglementaire s’est ajouté », depuis une vingtaine d’années, analyse Laura Geleziunas, qui plaide pour une « harmonisation ». Seulement alors, une certification de durabilité ne « serait alors pas considérée comme une information marketing ».
Usine à gaz côté producteurs ?
Dans la salle du Palais des congrès de Beaune, certains commençaient à s’interroger si le « consommateur va-t-il s’y retrouver avec tous ces labels alors que beaucoup sont déjà perdus avec les infos actuelles et qu’ils font leurs achats de vin en moins d’une minute » ? N’est pas là une nouvelle « usine à gaz qui vient complexifier la vie des opérateurs ». L’actualité confirmant les témoignages de vignerons qui parlaient déjà « de charge administrative voire charge mentale non désirée ». De Mercurey, Amaury Devillard ne « nie pas l’importance de la transparence » mais pas à tous crins, au risque sinon de « casser le jouet » ou plutôt la magie qui entoure des vignobles comme celui de Bourgogne. « Mon métier est de rendre les gens heureux et ces derniers sont loin de ces préoccupations » de « citadins et néoruraux souvent qui ont des informations qu’ils ne comprennent pas du tout ».
Après tant de débats, le vilain mot et tabous sortait enfin : faut-il aller jusqu’à la transparence des « traitements pesticides » comme certains ont commencé aux États-Unis au niveau de chaque parcelle ? Non, répond l’OIV car « le consommateur ignore comment on produit un vin de la vigne à la bouteille ». Une ambivalence donc par rapport au début de la table ronde, voire « une balle dans le pied », prenaient position les représentants des filières bières et spiritueux également présents. Adrien Tréchot lui n’en démord pas : « c’est loin d’être un jouet. Il n’y a pas de raison de ne pas faire comme les autres même si cela casse certainement le côté sacré du vin. Comme je dis à ma mère, ça suffit de se cacher, je suis fier de faire ce produit dans le Languedoc, bien moins lucratif qu’ici. Ça peut paraître effrayant mais on ne peut l’éviter ». Idéaliste ou naïf. Destructeur de valeurs ou rajout. Les normes sont aussi généralement pour un nivellement par le haut. Côté spiritueux, Mathieu Sabbagh de la Distillerie de Bourgogne a vu l’application Yuka changer pour de bon les techniques pour fabriquer du rhum par exemple, qu’on peut « teinter au caramel synthétique ou d’ammoniac ou en tonneau. Avant, personne ne pouvait savoir ce que me vendait Carrefour. Maintenant si et cela créer un lien de confiance ». Une conclusion positive qui néanmoins peut être mise en doute à l’heure de shrinkflation ou cheapflation que les clients n’ont pas vu venir malgré l’inflation… Il y aura toujours des « tricheurs », ce que la loi et les autorités (DGCCRF…) cherchent justement à éviter.