Diversification
Fermes-auberges, le défi de la double casquette

Agriculteurs et restaurateurs, parfois même hébergeurs, ils ont volontiers choisi de lier agriculture et tourisme : si les fermes auberges sont devenues de réelles vitrines du travail des agriculteurs, vectrices d’un nouvel apport financier, maintenir leur attractivité n’est pourtant pas toujours chose simple. Rencontre avec ceux qui produisent, accueillent et restaurent. 

Fermes-auberges, le défi de la double casquette
Depuis septembre 2023, Katherine Geraci gère la ferme-auberge de Cuzieu aux côtés de son mari et de sa fille à Arvière-en-Valromey (Ain). ©Katherine Geraci

« Les gens aperçoivent depuis l’auberge les légumes qu’ils s’apprêtent à manger. » Le décor est planté. Katherine Geraci gère la ferme-auberge de Cuzieu aux côtés de son mari et de sa fille à Arvière-en-Valromey (Ain). Le couple accueille voyageurs, randonneurs, cyclistes et fins gourmets au cœur d’une exploitation de 80 hectares et 60 animaux : vaches allaitantes, quelques vaches laitières, des veaux ou encore des cochons, les gérants produisent la quasi-totalité des produits proposés directement dans leur ferme. Ces derniers cultivent également légumes et céréales. Un menu 100 % fermier est donc proposé aux clients et renouvelé chaque semaine. « Nous avons une carte avec deux propositions par jour, dont une végétarienne. Parfois les gens ne savent pas vraiment où ils mettent les pieds, ils pensent venir dans un restaurant classique… Mais lorsqu’on leur explique les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas leur proposer un plus vaste choix, ils sont ravis », explique Katherine Geraci. Ouverte depuis le 30 septembre 2023, l’auberge de Cuzieu prend encore ses marques. « Nous avons eu une bonne fréquentation dès le début, mais les trois derniers mois ont été compliqués. Nous restons optimistes, et attendons la période juillet-août pour voir venir les touristes », espère la gérante.

Revaloriser sa production

Pour certains, la haute saison et ses touristes se font attendre, tandis que d’autres mise sur une fréquentation plus locale et de la vente directe. C’est le cas d’Isabelle Bonnard, gérante de la ferme-auberge de La Poule Rousse à Doizieux (Loire). « Nous faisons en moyenne une centaine de couverts par semaine », explique l’agricultrice. Si elle accueille peu de touristes, la clientèle régionale semble assez régulière. « Nous nous trouvons entre Lyon et Saint-Étienne, j’accueille principalement des Lyonnais et des Stéphanois. Nous n’avons pas forcément besoin de faire de publicité pour attirer davantage de touristes, puisque la valorisation de nos produits en restauration et en transformation est déjà un excellent complément de revenus », assure Isabelle Bonnard. « Les clients du restaurant achètent également des produits de la ferme sur place », ajoute-t-elle. Pas d’ombre au tableau pour l’agricultrice qui assure un rythme soutenu, aux côtés de ses quatre associés. Depuis son ouverture en 2001, la crise sanitaire a été le seul passage compliqué, mais la ferme-auberge a repris de plus belle grâce à la clientèle locale. Pourtant, certains exploitants subissent encore les conséquences de cette crise, survenue en France fin 2019.

Une baisse de fréquentation parfois difficile

Si la crise sanitaire a parfois remis l’agriculture au centre des consciences, elle a également pu créer une défiance générale quant aux établissements d’accueil touristique. Luc Bauer, exploitant agricole et propriétaire de la ferme-auberge Salam en subit encore les retombées : un constat amer lorsqu’il se rappelle que 2019 avait été son année la plus florissante. « Ça n’a jamais repris comme avant et ça ne fait qu’empirer », se désole l’agriculteur. « Mon chiffre d’affaires est passé de 140 000 € par an (HT) à 90 000 € en 2023. Tous mes projets sont en attente depuis ». Luc Bauer évolue dans l’agriculture depuis son enfance et gère seul une exploitation en polyculture-élevage à Boulc (Drôme). L’auberge Salam, existante depuis dix ans, propose aujourd’hui une pension complète, 7 chambres pour une capacité de 17 personnes et des emplacements de camping-cars et bivouacs. Le gérant propose des stages et loisirs, activités fortement compromises depuis la crise sanitaire : « J’ai dû complètement revoir mon modèle agricole pour pouvoir me maintenir à flot, avec des cultures plus vivrières, de l’agroforesterie, de l’apiculture et l’arrêt de la production de brebis. Je mets aussi l’accent sur la vente directe ». Une crise économique qui l’éloigne peu à peu de sa clientèle historique : des citadins issus de la classe moyenne, cherchant à s’éloigner de la ville pour se ressourcer.

Charlotte Bayon