Agrisolidarité
Assemblée gérérale Agrisolidarité : Continuons d'aider les personnes fragilisées
Le 6 avril, les membres et représentants d’Agrisolidarité se sont réunis à Mâcon, au siège de la MSA Bourgogne, pour leur assemblée générale. Tandem historique de cette association : la chambre d’agriculture et la MSA. Au-delà du bilan d’activités, ce rassemblement a permis de prendre le temps de penser. Au temps qui passe, à la gestion des angoisses, à comment possiblement dire stop. Grâce notamment à l’intervention de Claude Breuillot, docteur en psychologie, quotidiennement confronté aux problématiques du monde rural.
Dans son rapport moral, le président d’Agrisolidarité, Jean-Charles Blanchard, est revenu sur « le climat anxiogène régnant dans nos campagnes ». Entre incertitudes et incidents climatiques, guerre ukrainienne, prédation du loup… Mais le message est clair : il ne faut pas se laisser abattre. Restons soudés. Tout cela sous le regard approbatif du président de la MSA Bourgogne, Dominique Bossong, en pleine préparation de l’AG 2023, qui se tiendra le 28 avril prochain à Beaune.
Le président et le vice-président de l’association, Jean-Jacques Lahaye, auront participé et seront intervenus à la journée nationale "Mal-être en agriculture : en parler et agir", le 20 avril. À ce sujet, Jean-Jacques Lahaye déclare : « la Saône-et-Loire a été regardée de près pour mettre en place le dispositif Réagir ». « On peut être fiers d’aller présenter ce que fait le département », poursuit-il. Beaucoup de territoires n’ont pas la chance d’avoir de tels dispositifs. L’objectif du 20 avril est aussi de s’inspirer des autres secteurs, pour agrandir et perfectionner la cellule locale, qui a pour bras armé Agrisolidarité.
Pour rappel, l’association compte quatre conseillers salariés de la chambre d’agriculture, spécialisés dans l’accompagnement des agriculteurs fragilisés. Ils sont répartis sur quatre zones géographiques. Côté MSA, ils sont neuf travailleurs sociaux, également sectorisés.
Entre nouveautés et poursuite des actions
Au bilan, en 2022, 67 sollicitations ont été recensées, dont 18 % concernent des individus déjà connus d’Agrisolidarité. Chaque sollicitation ne conduit pas nécessairement à la signature d’un contrat d’accompagnement. Un premier appel peut simplement aboutir à une réorientation vers un autre professionnel (structure juridique, d’aide à la reconversion etc.). En plus des nouvelles sollicitations, trente personnes maintiennent leur accompagnement commencé en 2021, ou avant. Le premier rendez-vous se fait toujours en binôme (chambre-MSA), pour ensuite établir un diagnostic complet. L’agriculteur qui accepte d’être accompagné, doit compter 100 €/an, pour un contrat d’une durée maximale de trois ans. Donnée illustrant, sans équivoque, la nécessité de poursuivre les actions de terrain : l’augmentation des frais de déplacements. Ils sont passés de 857 € en 2021 à 1.014 € en 2022.
De nombreux temps forts rythment l’actualité d’Agrisolidarité. Le 2 juin et le 4 juillet 2023, vous pourrez, de nouveau, suivre une formation pour devenir Sentinelle, et ainsi être en première ligne pour déceler les personnes en difficulté. La sixième édition de la journée "Cesser, changer, continuer autrement", aura lieu le 20 juin 2023. Vous pouvez dès à présent vous y inscrire et/ou en parler à vos proches. Vous y obtiendrez des conseils adaptés à votre situation et une liste de contacts bien remplie. Autre information importante, la convention avec les barreaux de Chalon-sur-Saône et de Mâcon est reconduite. Connaître ses droits, au travers des temps collectifs d’échanges avec des avocats, est toujours d’une grande utilité.
L’objectif, à terme, est de donner encore plus d’ampleur au fonds de soutien. Il permet de débloquer, en urgence, certaines situations (livraison de stocks, comptabilité, responsabilité civile…). Un suivi des agriculteurs aidés sera, d’autre part, mis en œuvre. Au bout de six mois, la question "que sont-ils devenus ?" se pose forcément. Enfin, troisième amélioration, la relance de la communication auprès de toutes les mairies, via l’envoi d’un courrier présentant le rôle et le fonctionnement d’Agrisolidarité. En parallèle, des webinaires seront proposés aux techniciens volontaires et aux partenaires des agriculteurs. Finalement, en termes de stratégie d’action et de rayonnement, « on parle souvent de maillage territorial, mais il y a aussi surtout le bouche-à-oreille », déclare Claude Breuillot.
Des profils à risque oui, des facteurs prédéterminants, non
Constat alarmant datant d’un rapport de 2017 : un agriculteur se suicide, en France, tous les deux jours. Une étude plus récente, menée par la caisse centrale de la MSA en 2019, confirme ce triste phénomène. Les tendances et les profils dits à risque, à l’échelle nationale, sont une chose. Mais qu’en est-il des données territoriales récoltées par Agrisolidarité ? Sans réelle surprise, les exploitants les plus demandeurs d’aide sont les éleveurs bovins allaitants (en particulier ceux de l’arrondissement de Charolles), suivis par les ovins/caprins. Les causes de détresse sont bien souvent multifactorielles. Mais en premier apparaissent les "accidents de vie" (problèmes de santé et drames familiaux tels que la perte d’un proche, une séparation…). Autre explication, une mauvaise entente au sein du Gaec (à la suite d’un départ, d’un conflit entre les membres…). Les difficultés liées au démarrage de l’activité n’arrivent qu’en troisième position. L’âge moyen des personnes aidées est de 47 ans, avec un point de bascule à 40 ans. Les individus seuls (avec ou sans enfants) sont les plus nombreux. Cela ne signifie pas pour autant que ces derniers demeurent complètement isolés. Les psychologues reconnaissent également les impacts désastreux, dans certaines situations, du confinement et/ou du huis clos. À noter que les cas où la comptabilité de la ferme n’est pas tenue restent rares. En effet, 81 % des exploitations aidées sont au réel agricole. Néanmoins, si on se concentre davantage sur les accompagnements pour raisons économiques uniquement, les chiffres sont peu réjouissants. Des personnes installées depuis plus de 19 ans ont un taux d’endettement supérieur à 70 %.
Claude Breuillot s’interroge : « pourquoi les seules données statistiques sont-elles à dépasser ? ». Nous en sommes tous plus ou moins conscients, mais ces données ne reflètent pas l’entière réalité. L’approche parcellaire qui est menée dans certaines études (exclusion des aides familiaux, des exploitants nés hors France métropolitaine…) ne véhicule qu’une image du monde agricole. « Elles ne laissent pas la place à l’histoire personnelle de chacun », affirme Claude. Toutefois, « cela n’enlève rien au sérieux des travaux que publie la MSA », poursuit-il. Elle qui privilégie une méthode plus globale, en incluant toutes les personnes bénéficiaires de la couverture maladie universelle ou d’une pension d’invalidité. Par ailleurs, la sous-évaluation générale du suicide dans les certificats de décès a été évaluée à 9 % par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès.
Et comme un problème ne vient jamais seul, les chiffres sur l’évolution de la démographie agricole sont, eux aussi, loin d’être réconfortants. « L’agriculture française n’a jamais connu aussi peu de jeunes dans ses rangs », souligne Claude. L’âge moyen des chefs d’exploitation est actuellement de 51 ans et seulement 20 % des agriculteurs ont moins de 40 ans. Les prévisions de la MSA estiment le nombre de départs à la retraite, entre 2022 et 2030, à 196.186.
Et si on apaisait le monde paysan ?
S’il y a bien une profession qui est soumise au temps (climatique, agronomique, politique…) et aux bouleversements environnementaux, c’est l’agriculture. Or, « le paysan sait qu’il n’est pas de victoire décisive sur la nature », déclare Claude Breuillot. Lorsqu’on remonte à l’origine étymologique du terme "paysan", on découvre qu’il appartient à la même famille latine que celle du mot "paix". Pourtant, on a aujourd’hui l’impression qu’être agriculteur est avant tout synonyme de souffrance. Bon nombre d’agriculteurs cultivent un « sentiment de culpabilité de dingue […] » mêlé au « sentiment de travailler énormément pour rien », déplore Claude. Combien de patients lui avouent, en consultation, se sentir marginalisés. Impuissants, n’arrivant plus à donner du sens à leur activité. Survivant grâce aux minima sociaux.
À l’instar d’Agrisolidarité, Claude Breuillot a relevé une dominante chez ses patients : l’épuisement psychique survient surtout chez les agriculteurs qui ont entre cinq et dix ans d’expérience. Ce laps de temps est loin d’être anodin. Malheureusement, ce phénomène se retrouve dans d’autres corporations : enseignants, médecins, gendarmes et policiers. Pourquoi tire-t-on la sonnette d’alarme, alors même qu’on a acquis une vraie expérience du métier. Et bien parce que surgit le poids de la désillusion, difficile à accepter, dans un monde dicté par la performance. « Le problème quand le temps s’accélère est qu’on ne peut pas penser », explique Claude. Ensuite, c’est l’engrenage, plus on angoisse, plus on agit et moins on se pose pour penser. À un moment donné, l’inconscient dit stop et tous les conflits internes rejaillissent. Au risque que cela nous dépasse. « On peut se dire si seulement j’avais su ». En plus du problème des dettes, s’ajoute la dévalorisation de soi : « Mais qu’est-ce que je sais faire d’autre ? ». « Comme si l’agriculteur passait sa vie à courir derrière le monde ». Il ne faut pas rêver, les algorithmes et les outils numériques ne vont pas venir au secours de la profession agricole. La solidarité entre êtres humains, si. « Être à l’écoute du psychisme des situations individuelles et collectives n’est pas de la sensiblerie », rappelle Claude Breuillot. « Les situations d’urgence sont courantes, jamais banales », ajoute-t-il. Pour éviter que les accidents se multiplient, la présence d’un tiers extérieur est déterminante. Malgré la désorientation que certains éprouvent en se sentant écoutés. L’esprit de l’agriculteur ne devrait jamais avoir à noircir, alors même que ses mains verdissent la terre. Cette même terre à laquelle ils sont, à juste titre, tant attachés. Parfois un lourd héritage, parfois symbole de l’inaccessible.
Une ligne téléphonique est joignable en continu au 06 72 97 07 19. Pour chaque message laissé, Agrisolidarité s’engage à vous rappeler sous les 48 heures. N’hésitez pas, ou plus, à faire la demande de RSA, ne serait-ce que pour savoir si vous êtes éligibles. Pour ceux et celles qui le sont, il faudra bien penser à actualiser trimestriellement votre situation, pour continuer à percevoir ce revenu.
La prochaine assemblée générale de la MSA Bourgogne aura lieu le 28 avril, au Palais des Congrès de Beaune, à partir de 9 h. Invité d’honneur de cet événement articulé autour du mal-être en agriculture : Olivier Damaisin, coordinateur national du plan interministériel "Prévention du mal-être et accompagnement des populations agricoles en difficulté".