Revenu des élevages bovins charolais
Les coûts de production premier levier de l'amélioration du revenu des élevages bovins charolais

Marc Labille
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Pendant trois ans, Thierry Turlan, ingénieur à la Draaf, a recensé les pistes d’amélioration du revenu des exploitations d’élevage bovins viande. Le levier « le plus puissant » qui ressort de ces travaux, c’est la maîtrise des coûts de production. 

Les coûts de production premier levier de l'amélioration du revenu des élevages bovins charolais
La mécanisation est le premier responsable des écarts de coûts de production entre élevages. Une corrélation mathématique a été prouvée entre le niveau de rémunération par éleveur et le nombre de chevaux vapeur par hectare.

Le 14 février dernier, à l’occasion d’un webinaire organisé par la Chambre Régionale d’Agriculture, Thierry Turlan, ingénieur à la Draaf Auvergne-Rhône-Alpes (Aura), a livré les conclusions d’un travail de trois ans sur l’élevage allaitant du grand bassin charolais. Sa mission était de faire le tour des pistes d’amélioration du revenu des exploitations. Sans tabou, l’expert a dressé un inventaire des potentielles « sources de valeur » pour les éleveurs dans un contexte d’évolution des modes de consommation, de baisse de production et de transition écologique. Se définissant plus comme « un influenceur » qu’un conseiller, Thierry Turlan, en s’appuyant sur un regard objectif sur l’évolution du monde, n’a pas hésité à « pointer du doigt » certaines pratiques agricoles coûteuses tout en questionnant sans œillères un avenir qu’il faut bien essayer d’anticiper.

Parlant d’une situation actuelle qui est « l’héritage de 30 ans de souffrance pour l’élevage allaitant », l’ingénieur de la Draaf a listé une douzaine de leviers allant du court terme au long terme.

Le plus puissant de ces leviers et celui par lequel débutait l’exposé est, sans surprise, la maîtrise des coûts de production. On le sait et les chiffres le démontrent depuis des années, il existe des écarts importants de coûts de production entre élevages avec une « prédominance des charges de mécanisation », rappelait Thierry Turlan.

Moins d’un demi-SMIC pour un tiers des éleveurs

L’intervenant s’appuie notamment sur une étude du prix de revient d’un échantillon de 300 élevages naisseurs (données CER France BFC 2022). « Le prix de revient est le niveau auquel les éleveurs devraient vendre leurs animaux pour couvrir toutes les charges et se rémunérer deux SMIC par Unité de Main-d’œuvre », rappelait l’expert. L’étude montre qu’un tiers de ces élevages ont un prix de revient qui dépasse 8,18 €, chiffre qui est loin d’être couvert par les prix de vente des animaux (5,21 € la vache R + en 2022) et qui signifie que pour ces éleveurs, la rémunération est inférieure à un demi-SMIC, voire même négative, faisait valoir Thierry Turlan. Dans le même temps, un autre tiers de ces élevages ont un prix de revient inférieur à 6,36 € le kilo de carcasse, chiffre qui se rapproche des prix de vente. Ces élevages parviennent à se dégager un revenu supérieur à 2 SMIC. Même avec des vaches payées 2,50 € plus cher et des broutards valorisés 1,40 € de plus le kilo vif, un quart des éleveurs n’atteindraient toujours pas les 2 SMIC par UMO, complétait l’expert qui concluait « qu’une partie significative des éleveurs ont des problèmes de revenu ».

Des charges qui vont du simple au double

La même disparité est constatée par l’Institut de l’Élevage pour son échantillon de 25 fermes Inosys. Il s’agit pourtant d’exploitations aux performances comparables ; à la productivité proche, dont les produits de la vente des animaux sont exactement les mêmes entre échantillons, pointe l’ingénieur. L’explication de cette disparité de rémunération réside donc bel et bien dans les charges, conclut-il. Le groupe au prix de revient le plus bas affiche un poste mécanisation et bâtiments s’élevant à 98 € pour 100 kg de viande vive produite. À l’opposé, le groupe au prix de revient le plus élevé est à 163 € sur ce même poste de charges. Autrement dit, les charges de mécanisation et de bâtiments sont 1,66 fois plus élevées pour les élevages les moins économes. Ce rapport est de 1,4 pour les charges d’alimentation des animaux. « Le groupe d’éleveurs dont le prix de revient est le plus bas (4,91 €/kg de carcasse) peut prélever une rémunération de 3 SMIC par UMO, tandis que le groupe au prix de revient supérieur à 6,18 €/kg de carcasse ne peut envisager une rémunération que de 0,8 SMIC/UMO. Pour couvrir l’ensemble de leurs charges, ils auraient besoin de cours des animaux supérieurs d’environ 2 €/kgc », complète Thierry Turlan.

Systématiser l’analyse des coûts de production

Cela montre que même les exploitations les plus performantes sur le plan zootechnique n’échappent pas à ces gros écarts de niveau de charges. Si la diversité est inévitable, cela vaut la peine de tenter de minimiser ces écarts. Et l’expert d’insister sur le poste mécanisation pour lequel, une corrélation mathématique a été prouvée entre le niveau de rémunération par éleveur et le nombre de chevaux-vapeur par hectare…

Partant de ce constat, Thierry Turlan encourage à analyser les coûts de production et les prix de revient dans chaque exploitation. Pour l’ingénieur, il s’agit là du « levier le plus puissant, le plus rapide, le plus accessible pour retrouver un revenu ». La maîtrise des charges serait en effet plus à la portée directe des éleveurs que tous les autres leviers qui dépendent généralement de réglementations, de lois, de filières… À l’exception cependant de la conduite herbagère qui mérite un effort de technicité à l’échelle de chaque exploitation pour « maximiser la production des prairies, optimiser le pâturage… ». Alors que l’herbe est « l’aliment le moins cher et le plus écologique », Thierry Turlan signalait que « moins de 10 % des éleveurs pratiquent aujourd’hui le pâturage tournant dont les effets bénéfiques sont prouvés ».

ÉGAlim, export, engraissement, segmentation

Dans la synthèse réalisée par l’ingénieur, l’application des lois ÉGAlim vient naturellement dans le peloton de tête des leviers favorables au revenu. L’intervenant plaçait ensuite l’export « qui reste fondamental à l’élevage ». Il faut donc continuer à honorer ces marchés sans sous-estimer les crises et la concurrence au sein même de l’union européenne. Thierry Turlan recommandait aussi d’accentuer l’engraissement sachant que la France exporte un cinquième de sa production de viande bovine quand elle importe un quart de sa consommation. Mais la relance de l’engraissement implique aussi une réflexion sur « la répartition de la valeur tout au long de la chaîne ». Une répartition plus équitable est indispensable, plaidait l’intervenant qui recommandait également de préserver la segmentation des marchés issue de la montée en gamme (dont le bio).

La neutralité carbone à portée de main

Énergies renouvelables, crédit carbone sont autant d’opportunités économiques dont les éleveurs ne doivent pas se priver. À plus long terme, Thierry Turlan formulait « le besoin que l’agriculture accentue ses pratiques vertueuses par rapport à l’environnement ». Dans ce domaine, les éleveurs de bovins sont plutôt bien placés, mais leur point noir serait les émissions de gaz à effet de serre, pointait-il. Pour autant, « l’atteinte de la neutralité carbone est le deuxième axe fondamental (après les coûts de production) pour l’avenir de la filière », estimait l’ingénieur. Pour étayer son propos, ce dernier s’appuyait sur le fait que l’élevage serait en mesure de compenser tout le carbone émis grâce aux puits de carbone que constitueraient ses prairies et son bocage, moyennant une amélioration de l’existant.

Vers des animaux un peu différents…

Thierry Turlan abordait aussi le volet génétique, évoquant « une demande d’animaux un peu différents » pour répondre à « une baisse de production et de consommation de viande qui va durer avec une population amenée à stagner ». L’ingénieur s’attend à un besoin de bovins un peu moins lourds, plus rustiques, valorisant davantage l’herbe… Se gardant bien « d’affirmer quel sera le style d’animal de demain », il incite à travailler dès aujourd’hui sur des axes de sélection un peu différents…

Enfin, Thierry Turlan évoquait les bénéficies paysagers, territoriaux, touristiques procurés par l’élevage bovin. « Des destinations façonnées par l’élevage retrouveront de l’attractivité auprès d’une population de plus en plus urbaine », concluait-il.

 

Des propos qui font réagir…

En introduisant cet exposé, les responsables de la chambre régionale avaient prévenu que son auteur allait « mettre le doigt là où ça fait mal… ». Parmi ces points douloureux, le culte du gros matériel en a forcément pris un coup, mais plusieurs thèses développées par Thierry Turlan ont suscité des réactions de la part de responsables. Si personne ne niait la pertinence de connaitre ses coûts de production, le président de la section bovine d’Interbev, Emmanuel Bernard se méfiait de l’usage que peut faire la filière de ces chiffres. De son côté, le président de Charolais France, Hugues Pichard rappelait que nombre de conseillers fiscaux ont incité les agriculteurs à investir dans du matériel pour payer moins d’impôts et de MSA… Emmanuel Bernard tenait à rappeler que la revalorisation du prix de la viande hachée entraînant la hausse du prix de la vache n’avait pas empêché de continuer de vendre de la viande. Il ajoutait aussi que la consommation baisse moins vite aujourd’hui que la production et que l’impact du prix producteur sur le prix consommateur n’est pas évident du tout. Le responsable d’Interbev a par ailleurs vivement réagi lorsque l’intervenant a défendu que l’on mangeait « trop de protéines animales aujourd’hui ». Et Emmanuel Bernard ne partageait pas du tout la vision développée par certains chercheurs d’un retour à des races rustiques mixtes lait/viande… Sceptique lui aussi, Hugues Pichard regrettait que l’on « stigmatise toujours ce qu’on est capable de faire bien ». Le président de Races de France défendait au contraire que les trois races spécialisées les plus productives sont tout à fait capables d’évoluer en usant de la variabilité génétique. Le président de la FDSEA, Christian Bajard ajoutait pour sa part que les charges d’entretien du matériel avaient augmenté de + 30 %. Il regrettait aussi que l’étude ne parle pas de la hausse du foncier qui pèse lourd sur les exploitations du Charolais-Brionnais. Enfin, au lendemain des blocages de fin janvier, le président de la FDSEA pointait la responsabilité de la grande distribution et la non-application de la loi Egalim depuis trois ans.