Viticulture et agriculture de Bourgogne
La tour de contrôle du carbone est en place avant l’étalonnage des satellites
Le 11 juillet, il y avait foule dans la vigne expérimentale de la chambre d’agriculture à Rully. Non pas pour rogner, relever ou traiter mais pour l’inauguration de la première tour à flux mesurant le carbone en Bourgogne. Une des dix dans le monde dans le cadre viticole. Et le projet Mocca aura déjà une suite pour re-calibrer les données satellitaires, servant demain aussi aux autres cultures et à l’élevage.
« Le stockage du carbone dans le sol est souvent cité mais concrètement, comment donner des clés aux viticulteurs pour le faire ? », posait la question Camille Buissière. La chargée d'animation réseaux vitivinicoles et communication technique au Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) connaît la réponse, elle qui pilote notamment le projet Mocca (lire nos articles d’avril 2024). Après le temps des enquêtes auprès des vignerons, des bilans carbones, des audits techniques… cette nouvelle tour à flux –la première en France dans une vigne sur dix dans le monde– est un peu la pointe de l’Objectif Climat 2035 du BIVB, visant la neutralité carbone du vignoble de Bourgogne à l’horizon 2035. Pas étonnant dès lors que le Crédit Agricole Centre-Est, le Département, l’Institut de la Vigne et du Vin (IFV), AgroSup Dijon, la coopérative Millebuis… soient tous partenaires et présents ce 11 juillet.
Le maître d’œuvre reste la chambre d’agriculture et son Vinipôle Sud Bourgogne. Pour son directeur, Benjamin Alban, à l’objectif premier de faire des essais et obtenir des résultats pour continuer de produire des raisins et vins de qualité, se rajoute désormais « l’idée de stockage du carbone », dans la végétation et les sols. À l’heure du changement climatique, une cinquantaine de parcelles viticoles sont étudiées par l’UMR (Unité mixte de recherche) Bio-géosciences de l’Université de Bourgogne « pour comprendre les dynamiques des sols ». Évident pour le vignoble à l’origine des Climats classés à l’Unesco, archétypes de la mosaïque des terroirs, où tous peuvent constater de grandes différences entre parcelles étant donné leurs orientations, pédologie, altitude... Car finalement, les scientifiques n’ont que très peu de ressources fiables et locales, et encore moins en viticulture, sur le carbone sous toutes ses formes entrant et sortant : engrais, fumiers, tracteurs, fioul… « L’IFV est très intéressé par les données de la tour à flux carbone pour vérifier ses modèles (empreinte carbone…) ou que certains apports ne soient pas de fausses bonnes idées », expliquait Benjamin Alban pensant aux retours d’informations aux vignerons.
Cartographier les vulnérabilités à la parcelle
Même intérêt pour les 150 scientifiques de l’UMR Bio-géosciences qui veulent passer d’une échelle internationale (les rapports du Giec…) à « une régionalisation par versant et par parcelle » de leurs données, et ce toujours « sans faire de politique, mais avec des données robustes et des solutions concrètes », affichait sa volonté Thomas Saucède, professeur à l’Université de Bourgogne. Son collègue Olivier Mathieu donnait un exemple tout simple : « cette tour à flux va permettre de mesurer les échanges nets de l’écosystème viticole, comme le carbone fixé au cours de la photosynthèse ou ce que rejette la plante. Idem pour la respiration-expiration des micro-organismes du sol ». Et ce par horaire, jour, à l’année, pluriannuel puisque la tour le fait à très haute fréquence, environ dix fois par seconde. Évidemment, les capteurs de la tour à flux sont nombreux et les plus modernes qui soient. Mesure de l’ensoleillement et de la réflexion, humidité du sol, flux d’eau, évapotranspiration, chaleur sol-air, mesure de la concentration du CO2, phéno-caméra pour suivre les stades végétatifs… l’emplacement ne pouvait pas être placé au hasard. Le vignoble (et la cave coopérative de Millebuis) a dû sacrifier quelques pieds de vigne pour l’implanter en plein milieu de cette parcelle d’un hectare. Pas facile pour les futurs travaux non-plus… Le climatologue de l’UMR géobiosciences, Julien Crétat se voit déjà analyser les datas et comparer les émissions de carbone suite à des techniques pour confirmer ou invalider certaines rumeurs ou idées reçues : « le labour émet ou stocke-t-il ? » Encore une fois, ces données serviront aux vignerons pour « co-construire à l’échelle de la Bourgogne », lui voulant « cartographier les vulnérabilités à la parcelle », quitte à devoir « faire évoluer les pratiques » afin d’aboutir à un « vignoble plus résilient » face au changement climatique.
La société Carbon Space, qui exploite un réseau de satellites, se montre déjà particulièrement intéressée pour intégrer le prochain appel à projet (Mocca 2) comme le confirmait Emma Fourdan. En effet, ces datas pourraient permettre de « recalibrer les jeux de données » et ainsi perfectionner les modèles logiciels « de la viticulture à l’échelle mondiale ».
Le président de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, Bernard Lacour voyait là la parfaite démonstration de l’intérêt des vignobles expérimentaux, à l’image de Ferm’Inov à Jalogny qui travaille aussi sur les émissions-stockages côté prairies. Parmi bien d'autres, « c’est le rôle et l’implication de la chambre de Saône-et-Loire autour de l’adaptation à l’évolution climatique ». Le Département de Saône-et-Loire l’a d’ailleurs bien compris en finançant une partie de la tour à flux dans le cadre de son plan Environnement, comme l'expliquait Frédéric Brochot, en charge de l'agriculture au Département de Saône-et-Loire. « C’est aussi montrer aux jeunes agriculteurs et jeunes viticulteurs que la recherche avance et que l’agriculture et la viticulture s’intéressent à ces sujets de société », concluait Jérôme Chevalier pour le BIVB.