Interview de Bernard Lacour, président de la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire
Une chambre sur le terrain : « les bottes dans le coffre »

Cédric Michelin
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Une chambre sur le terrain : « les bottes dans le coffre »

Quels dossiers vous ont marqué lors de votre mandat à la tête de la Chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire ?

Bernard Lacour : Beaucoup de dossiers amènent une forme de satisfaction. Mais surtout, la structuration de Ferm’Inov à Jalogny avec 47 partenaires et toutes les formes d’établissements scolaires, des MFR jusqu’aux écoles d’ingénieurs Isara et AgroSup Dijon. Cela veut dire qu’il y a plein de gens qui croient en l’élevage. Même chose avec l’inauguration du Vitilab à Davayé et tout ce qui a trait à la viticulture, comme la tour à flux à carbone à Rully. C’est une vraie chance d’avoir une chambre d’Agriculture qui expérimente et innove, qui accompagne au quotidien des agriculteurs et des viticulteurs qui veulent se projeter. Le travail sur l’encadrement de l’agrivoltaïsme en est l’exemple avec une position départementale forte.

Et quel travail sur le rayonnement de la chambre d’Agriculture ?

B.L. : Le renforcement des équipes territoriales pour une chambre de proximité. Une chambre présente avec des territoires tous dotés de techniciens de terrain et des techniciens spécialisés. La ligne est simple : les bottes dans le coffre et être aux côtés des agriculteurs et viticulteurs. Enfin, le travail avec les communautés de communes et les organisations territoriales.

Également, la Maison de l’Agriculture – avec les autres organisations professionnelles – avec l’obligation de rénover un bâtiment vétuste où les collaborateurs ne pouvaient plus être accueillis, ni en termes de qualité de travail, ni de sécurité. Le projet de rénovation se fait donc avec un triple objectif. Rassembler la famille agricole, en faire un lieu de débat, et un lieu de promotion où tous auront la possibilité d’afficher la fierté et la noblesse du rôle du producteur.

Le dernier grand sujet a été celui de la coopération internationale. On doit réfléchir, très modestement, aux moyens de production, alimenter le travail de la solidarité envers les Hommes et les Femmes de ce monde, notamment d’Afrique. Il ne faut pas réduire la mission agricole à la France et à l’Europe, qui ont la chance d’avoir un climat qui permet de produire.

Quels sont les défis que vous n’avez pas pu relever ou les projets qui n’ont pas abouti ?

B.L. : Lors de la dernière session 2024, l’intervenant a rappelé que cette mandature était une des plus difficile — hors périodes de guerres en France — avec le Covid, le dérèglement climatique que l’on constate tous les jours. C’est un fait, on a eu quatre sécheresses, le gel 2021, des inondations… et la guerre en Ukraine qui déséquilibre ou remet en cause bon nombre de flux commerciaux. Et le loup, un vrai sujet. J’admets qu’entre le moment où le premier est arrivé et le moment où on se rend compte que tout est fait pour protéger le loup, l’élevage a été relayé au second plan. Je me souviens pourtant de réunions avec la filière ovine qui voulait communiquer sur l’installation. Depuis, on passe plus de temps à freiner le découragement, sans bien y parvenir, plutôt que d’installer.

Que faire contre la colère, la détresse, le renoncement qui peuvent guetter alors ?

B.L. : Un élément qui accentue la solitude est l’affaiblissement du collectif. Un agriculteur est seul dans sa cour de ferme. Et cette solitude est aussi liée à notre société. Il faut absolument travailler en réseau, quel qu’il soit. Les projets collectifs des territoires contribuent à réfléchir ensemble à l’avenir, à être plus forts ensemble qu’individuellement.

L’observatoire de la Santé du dirigeant agricole (avec Amarok) en Saône-et-Loire a été le premier lancé en France et permet d’accompagner et de réfléchir sur comment faire face.

L’installation de jeunes agriculteurs reste un enjeu crucial. Quels progrès dans l’accompagnement à l’installation et à la transmission des exploitations ?

B.L. : En productions végétales, l’installation se fait avec une adaptation forte du modèle. En élevage aussi, avec la hausse des prix du cheptel. Il faut trouver un équilibre entre charge de travail et revenus, autour des questions sociétales. Ce qui devient compliqué. Pour autant, j’ai dû attendre ma fin de carrière pour entendre à Paris une vraie volonté indéniable de soutenir l’élevage. J’invite donc les jeunes agriculteurs à sortir des sentiers battus et se pencher sur la question du partage des capitaux.

Comment ?

B.L. : La baisse du nombre d’agriculteurs ne doit pas être une course à l’individualisme. Avec le collectif, il y a de vraie complémentarité à trouver : sur l’eau comme avec la CUCM, avec l’abattoir à Autun, avec les PAT… Notre chambre est une structure reconnue dans le paysage départemental, du fait de ses actions, du fait des compétences de ses collaborateurs et du travail fait avec le Département, les Com’com, les maires… cette complémentarité est importante et au service des agricultures, des agriculteurs, des territoires ruraux.

Ne craignez-vous pas un changement du « modèle économique » des chambres d’Agriculture ?

B.L. : Un tiers des ressources vient des impôts. Les deux autres tiers sont des prestations et autres soutiens. Ce sont de plus en plus des obligations réglementaires pour pallier les budgets en baisse de l’administration. En Saône-et-Loire, on a la chance d’avoir des relations étroites avec la DDT et le préfet. On a un rôle à jouer sur le volet réglementaire mais on a un vrai levier sur les compétences techniques, sur des sujets de plus en plus variés : agrivoltaïsme, eau, choix variétaux des cultures, nutrition animale… C’est une chance d’avoir une chambre forte. L’impôt doit réglementairement être utilisé pour une mission précise, sans créer de distorsion avec d’autres structures, avec des prestations le plus près possible d’un prix de marché. On ne sert pas individuellement l’agriculteur mais on met à sa portée, un système pour être résilient ou pour gagner en productivité comme avec les PAT, les GIEE… et tout autre groupe de réflexion et d’actions. Une chambre est un service public au service des individus.

La transition agroécologique est un enjeu majeur et une obligation légale. Quelles actions concrètes ont été mises en place ?

B.L. : Une agriculture comme celle de Saône-et-Loire est déjà diversifiée et respectueuse de l’environnement. On se doit de la conserver. Notre mission est donc de déjà faire reconnaître son rôle historique. Reste plein de choses à faire dans l’aménagement du territoire et de nouveaux équilibres à trouver. Un exemple est la proposition de classement en zone vulnérable (Nitrates, N.D.L.R.) et finalement, avec l’action cumulée du syndicalisme, un moratoire a été obtenu car on a travaillé sur la réalité du terrain.

Vous êtes très attaché au terrain, aux échanges humains avec un respect humaniste. Comment avez-vous agi en ce sens ?

B.L. : Une chambre doit être aux côtés des paysans. Il faut ici saluer le travail de l’équipe de collaborateurs et l’implication forte des élus qui étaient présents aux rendez-vous, aux concours…. Les paysans en difficulté s’adressent à ceux qu’ils voient, ceux qui ne comptent pas leur temps pour être à leur côté. On se doit d’être présent pour le développement mais aussi dans les moments de difficultés. C’est l’intérêt des antennes. La chambre est ouverte, accessible et accueillante. On écoute et on cherche avec eux des solutions. On est des Hommes élus par nos collègues et c’est un juste retour d’être à leur côté.

Pourtant, certains agriculteurs dénoncent parfois un sentiment de déconnexion, y compris avec les organisations agricoles avec la chambre ou le GDS, la MSA… Pourquoi ?

B.L. : Aujourd’hui, on a objectivement des moyens de communication extraordinaires. Mais rien ne remplace les réunions présentielles sans faire de nostalgie. C’est à refaire car les agriculteurs ont besoin d’avoir des informations vérifiées. On le voit sur la FCO et MHE, rien ne remplace la présence terrain. On a la chance d’avoir une structure telle que le GDS, avec un président agriculteur qui mouille la chemise. Car entre l’éleveur qui a des intérêts à participer à un concours et des mesures à prendre pour ne pas mettre en danger tout le sanitaire du département, les décisions ne sont pas simples. Le responsable se sent bien seul d’où intérêt de la solidarité des structures pour que les décisions prises soient comprises.

Et pour recréer le lien avec les urbains ? Votre invité, le Général de Villiers, rapprochait les problématiques des banlieues de ceux des agriculteurs, loin de les opposer ?

B.L. : Le rôle d’un responsable est aussi d’apporter des éléments de réflexion, même avec des gens qui ne pensent pas comme nous. Comme avec Pierre Rabhi lors des 70 ans du journal L’Exploitant Agricole en 2015. Depuis l’agroécologie est un mot du quotidien. Le Général dit simplement que la France est segmentée. On ne le voit que trop bien. Rural et rurbain, voir urbain, sont défavorisés dans cette société qui ne se projette plus qu’avec des décisions court-termisme, prises pour une durée d’un mandat. Ces deux interventions montrent qu’il faut une forme d’ouverture d’esprit dans nos structures. Et il faut une approche qui donne des repères pour que les individus puissent se projeter. Chacun a besoin de s’inscrire dans la durée pour ne pas se sentir impuissant.

Mais le monde d’après Covid n’a pas eu lieu. Les consommateurs se sont détournés des promesses d’alors ?

B.L. : Il faut en permanence labourer. Les circuits courts à la ferme sont certes moins célébrés mais il n’a pas moins de gens qui y croient avec des consommateurs en grande distribution, qui s’est organisée avec nous. Les PAT se mettent en place, les magasins de producteurs, jveuxdulocal ou Agrilocal avec le Département. On a plus d’outils aujourd’hui pour les développer, en parallèle des filières longues. Après, gare aux absurdités politiques, du type Mercosur, de laisser entrer des produits dont nous ne voulons pas.

Quel bilan global ?

B.L. : J’ai conduit mon mandat avec humilité et détermination. Je pars en retraite (en avril) avec une chambre d’agriculture bien gérée. Je laisse une chambre reconnue au-delà de l’agriculture saône-et-loirienne. Je transmets une chambre d’agriculture forte avec certes, une partie investissement. Il n’y a pas de responsabilité sans engagement. Il faut d’abord y croire et après se battre. Il y a des dizaines de dossiers que les élus doivent porter dès le lendemain de l’élection. En jouant la complémentarité car avoir raison, seul, c’est quelque part avoir tort. Il n’y a pas de réussite sans implication.