Vitifocus Pera-Pellenc
Les vins no-low pour se différencier et contourner la loi Evin ?
Le 20 novembre dernier, à la frontière entre la Saône-et-Loire et la Côte d’Or, le groupe Pellenc tenait sa conférence annuelle Vitifocus au château Armand Heitz. Une petite trentaine de participants se penchait sur les marchés des vins no-low, avec les techniques de désalcoolisation, avant de passer à la partie vignoble, avec les solutions de taille rase automatique, de robotique et de numérique. Des interventions d’experts de grandes qualités et une dégustation de vins no-low venaient parfaire ces temps d’échanges.
Quels produits, quels marchés, quelles solutions techniques pour l’univers des vins no-low ? Les réponses à ces questions ne sont pas spontanées, tant la Bourgogne viticole semble justement éloignée de cet univers. À l’image d’Armand Heitz qui avait un temps « manifester contre la désalcoolisation des vins », qui d’ailleurs pour les sans-alcools ne savent pas s’ils peuvent utiliser ce terme. Mais, l’agriculteur qui élève également vaches et moutons, entre robot à la vigne et permaculture au château, était là pour « débattre, écouter » et pourquoi pas, « changer d’avis ». « On subit aussi des demandes des marchés. On n’a pas toujours le choix malheureusement », analysait-il lucide, se sachant privilégié en la matière en Bourgogne.
Frédéric Chouquet-Stringer dressait un tableau du marché des vins « no-low », pour no-alcool (sans alcool) ou low-alcool (désalcoolisé ou à faible teneur en alcool). Trois nouveaux segments de marché donc. Lui qui a créé le site e-commerce Zenothèque spécialiste y a vu « une opportunité » dans un monde du vin car son parcours l’a amené à vivre en Allemagne, pays de la bière, où il a vu les bières sans alcool conquérir aujourd’hui 10 % du marché. Lui qui aime les vins « classiques », « que cela nous plaise ou non », « le no-low se développe partout et va rester ». Après avoir goûté des vins no-low « imbuvables », il estime néanmoins que 2 % de la production aujourd’hui donne un « espoir » plus qualitatif, même s’il préfère ne pas comparer frontalement avec les arômes classiques des vins. Oubliez donc les vins no-low à base de « vins à 30 €/hl », lui vend des vins no-low entre 9,90 € la bouteille et jusqu’à 109 €. Son panier moyen est constitué de vins rouges no-low autour de 20 euros, « tous qualitatifs ». Son taux de retour des clients est ainsi passé de 10 % à 30 %. Ses quelques « mauvais retours » parmi ses 10.000 clients viennent principalement de ceux qui « comparent » avec du vin alors que « chacun doit construire son propre référentiel », invite-t-il à s’ouvrir l’esprit. Comme souvent, les clients selon les pays, les catégories socioprofessionnelles, le genre ou la génération ne perçoivent pas les produits de la même façon qu’un vigneron bourguignon. « 40 % des jeunes en Europe, et même 39 % en France, déclarent ne pas boire d’alcool ». La part de marché reste donc faible autour de 1 à 2 % dans la catégorie vin. La croissance peut donc être à deux chiffres, « de 7 à 20 % sur les 15 prochaines années », espère-t-il pour un marché « entre 4 et 8 millions de dollars ».
S’il convenait que 65 % sont des consommatrices, l’absence de logo femme enceinte pour le sans-alcool n’explique pas tout puisque « plus de 80 % de ses acheteurs boivent de l’alcool ». L’expert préfère donc parler d’un nouveau moment de consommation, « ou une personne ne boirait pas de toute façon ne boirait pas d’alcool ». Pour lui, la boisson a concurrencé n’est donc plus les bières mais plus les spiritueux, sodas, thés… Par contre, les vins no-low viennent concurrencer les autres vins « ayant après le repas une réunion de travail, qui ont des enfants à surveiller, ayant peur du gendarme… » et pour des questions de santé, esthétique, tendance « chez les bobos », glissait-il. Et, il pense sincèrement que la « haute gastronomie » s’y intéresse. Dans les allées de WineParis, il démarche les vignerons cherchant à se différencier… au milieu des marchés AOP. Enfin, il souligne qu’un « flou » juridique permet de largement communiquer sur le « sans alcool ». Ce que les grandes entreprises ont bien compris pour mettre en avant leur marque générale, malgré les restrictions de la loi Evin ainsi contournée. Il est possible d’afficher zéro alcool du moment que le titre alcoométrique volumique (TAV) est inférieur à 0,5 % depuis peu. Le sigle « déconseillé aux femmes enceintes » n’est dès lors plus obligatoire et la nomination est « extrêmement libre » pour ces boissons qui peuvent aussi être aromatisées, au-dessus de 1,2 %. L’Europe a également autorisé la mention vin pour les « vins désalcoolisés », entre 0,5 % et 8,5 % (voir 9 % dans certaines zones viticoles). Sans oublier, qu’une IGP ou AOP peut autoriser une correction du niveau d’alcool jusqu’à une réduction de 20 % du TAV initial et garder l’appellation ou indication en mentionnant « vin partiellement désalcoolisé ».
Trois procédés de désalcoolisation sont autorisés à ce jour : évaporation sous vide partielle, techniques membranaire et distillation. Frédéric Chouquet-Stringer conseille de partir de cépages « plutôt aromatiques », avec relativement peu d’acidité. Des tests sont en cours sur chardonnay « mais ce n’est pas simple ». Pour lui, le point clé est de bien récupérer les « arômes » extraits pour les « remettre » ensuite dans le nouveau vin désalcoolisé. Pour ce faire, dernièrement, une résine « a changé la face des vins no-low » à la dégustation. Au final, il en coûte au total entre 15 et 180 €/hl, à partir de « vins très propres », avec une perte en volume entre 12 et 18 %. Résultat, les vins no-low sont plus chers que le vin de départ. Une critique balayée car « ce que vous voyez comme des défauts, les clients y voit une valeur qu’il recherche », sans oublier un taux de TVA à 5,5 % pour les sans-alcool. En revanche, même s’il faut mettre une DLUO, date limite d’utilisation, lui généralement fixe à 4 ans, la durée de conservation une fois la bouteille ouverte n’excède pas 3-4 jours. « Les vins sont bus jeunes. Paradoxe, car avec l’acidité, on aurait plutôt là des vins à faire vieillir ».
Après avoir été 15 ans directeur de recherche à l’IFV, Jean-Luc Favarel est désormais directeur des recherches chez Pera. Venant du sud de la France, il relativisait la nouveauté d’abaisser le degré de vins, avec parfois « des syrahs à 16° dans le Languedoc ». Et de rajouter que les vignerons sont bien souvent équipés d’un matériel d’osmose inverse « pour rattraper quelques défauts à la cave ». Il présentait le dernier né chez Péra, le Smart Winelyse qui « n’a pas la prétention de viser le zéro qui fait appel à de grosse installation » industrielle. Le Smart Winelyse « vise le low » pour répondre notamment à la demande de « réajustement autorisé » (-20 %) jusqu’à un degré permettant des vins « facilement conservables » en cave, jusqu’à « 6° environ », selon ses essais. L’intérêt de l’évaporation sous vide partiel (entre 30 et 50 hectopascals) à basse température est que justement la « température d’ébullition de l’éthanol est abaissée à 17,5 °C ». Il est alors possible en chauffant à 26 °C un vin ayant un TAV de 15, d’évaporer son éthanol pour récupérer une vapeur à 58 % d’alcool, ont pour expérience les équipes de Pera-Pellenc depuis 2002 en thermovinification, détente sous vide et maintenant flash détente. Après avoir validé le concept avec l’Inrae en 2022, puis en 2023 avec l’IFV, la première série de machines brevetée Winelyse sortira en 2025. « Il y aura fonctionnements : un sur moût en cours de fermentation, système unique sur le marché et un autre donc, sur vin classique ». La DGCCRF a donné son accord dès que les moûts dépassent 8,5° et que les « 3/5e de la fermentation est déjà passés », considérant le produit déjà comme du vin. « Le moût sortant perd entre 2-3 % en volume. Attention, on ne cherche pas le zéro, on vise plutôt 6° ». L’Inrae de Narbonne a regardé les cinétiques de fermentations qui, même s’il existe plein de cas de figure, montrent que les fermentations se finissent mieux en raison de la désalcoolisation qui permet aux levures restantes de fonctionner. Cerise sur le gâteau ou plutôt « eau-de-vie » sur le raisin, le condensa titre autour de 50 % et est particulièrement « aromatique », comme le démontrait la dégustation. « Je pense qu’il y a un marché pour ce condensa, comme les gins ou whisky français autour de 50 € les 50 cl », même s’il mettait en garde sur la taxe sur l’alcool pur. Enfin, le Smart Winelyse est intelligent car il est connecté et peut programmer en automatique. « Il y a zéro consommable et zéro préparation préalable ». Compter toutefois une moyenne de 15-18 hl/h sur moûts en cours de fermentation et même 25 hl/h sur vin pour retirer 2° vol/vol en moyenne. Le tout avec une faible consommation électrique (sur prise de 32 A).
Viticulture numérique : prendre les bonnes décisions rapidement
Mathieu Hamel a présenté la viticulture numérique selon la vision de Pellenc, où plutôt la réalité, tant le numérique est d’ores et déjà implanté partout, jusqu’aux sécateurs connectés. « La viticulture numérique consiste à remonter des données et des informations venant des machines pour les stocker dans le cloud afin de les analyser ensuite et surtout de les redonner aux viticulteurs, sous forme de cartographies bien souvent », expliquait-il. Mais bien d’autres cas d’usages sont possibles comme la saisie automatique pour des rapports d’activité ou pour simplifier l’administration de son domaine ou encore autour de la maîtrise des coûts des opérations, comme l’optimisation des flux de la vigne à la cave. Évidemment, les données agronomiques géoréférencées sont plus « pertinentes » peuvent servir à une gestion précise au vignoble, croisées avec les données du millésime. Et ce sans jamais sombrer dans « l’infobésité » ou la complexité. Depuis 2016, Pellenc « a tiré des enseignements », et même depuis 1995 (projet Alice) pour des outils d’aide à la décision « non contraignant à l’usage, tout en conservant la fiabilité » nécessaire. Il présentait des visuels de Pellenc Connect allant dans ce sens. « On a de plus en plus de capteurs pour faire de la détection sur végétal, des manquants, des maladies, sur le dépérissement du vignoble… tout évolue tellement vite, qu’on ne peut pas tout développer ». C’est là que Pellenc fait preuve de lucidité et préfère s’associer avec des partenaires aux solutions éprouvées. Ancien de la chambre d’Agriculture, Jocelyn Dureuil travaille maintenant pour l’entreprise Chouette qui distribue des capteurs à embarquer sur le tracteur. Ces derniers vont automatiquement se mettre en route dans une parcelle référencée. Une IA va ensuite analyser les données pour faire remonter des informations (surfaces foliaires, maladies, manquants…) et retranscrire le tout aux viticulteurs qui peut recevoir des alertes ou consulter des cartes, des graphiques… « Aux vignerons d’aller vérifier, voir compléter les informations », conseille Jocelyn Dureuil. C’est ce que fait un vigneron du Mâconnais qui « depuis un an, consulte après chaque passage, les points sensibles en regardant les photos prises », lui qui a hâte d’avoir plusieurs années de données, pour pouvoir comparer les rendements, la vigueur… de ses vignes. Mathieu Hamel présentait rapidement le robot Pellenc pour le travail du sol qui tourne dans les vignes depuis 2023. Il concluait rassurant : « Comme tout robot, le numérique est d’abord un support pour l’humain. Ils ne sont pas là pour nous remplacer mais bien nous épauler, compléter et pour prendre les bonnes décisions rapidement ».