Vins désalcoolisés
Le no-low est-il mature ?

Cédric Michelin
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En Bourgogne, la tendance des vins no-low n’est pas encore d’actualité. Et ne le sera sans doute jamais dans ces appellations prestigieuses. Pour autant, les vins de France et les marchés internationaux bouillonnent d’innovations, et pas que marketing. De grandes familles et marques cherchent à gagner des parts de marché, dans le premium, chez les amateurs de vin ou chez les néophytes.

Le no-low est-il mature ?

À votre avis, à quel niveau de degré d’alcool un consommateur « lambda » différencie-t-il un vin blanc issu d’un chardonnay, du même vin désalcoolisé ? Le groupe ICV a fait un test dit triangulaire, présentant successivement trois échantillons, dont deux sont la cuvée « normale » et la troisième est désalcoolisée. La cuvée témoin titrant ici à 13°. Les consommateurs ne se sont aperçus généralement que le vin changeait qu’à 2,8°. Autant dire très « low », bas en alcool faisant resurgir le débat, s’agit-il encore de vin ? Non pour la réglementation. Mais la réglementation n’est pas le marché. Et ce segment des no (sans) ou low (bas) en alcool commence à se faire sa place, tiré par les bières et les « mocktails », cocktails prêts à boire, avec des spiritueux ou vins sans alcool. En 2022, tout confondu, le marché des no-low pesait pour 11 milliards de dollars. En France, 5 millions de consommateurs en ont déjà commandé en CHR.

Pas d’emballement pour les no-low

Pour autant, selon l’étude de Sowine, si la part de non-consommateurs d’alcool reste stable, à 15 %, les catégories des boissons sans alcool ou à teneur réduite en alcool semblent elles aussi stagner, à 28 % (-1pt vs 2023). La consommation de produits no-low est plus forte chez 18-35 ans, avec 40 % (mais en baisse de -4pts vs 2023) et chez les femmes à 31 % contre 24 % chez les hommes. Dry january oblige et injonctions pour améliorer sa santé, les principales motivations liées à la consommation des boissons sans alcool ou à teneur réduite en alcool sont de consommer moins d’alcool (52 %), de faire attention à sa santé (41 %) et… la préférence pour le goût (41 %). Attention, ceci n’est pas forcément vrai pour les consommateurs réguliers de vins. La consommation de no-low est largement portée par la bière avec 65 % de consommateurs de boissons sans alcool ou à faible teneur en alcool qui déclarent en consommer. Elle est suivie par les cocktails (48 %), les spiritueux (17 %) et le vin (10 %). Ce qui fait dire aux experts de Sowine, « le no-low est-il vraiment le nouvel eldorado pour le vin ? La marge de progression reste importante à date, là où la bière semble ne plus avoir à faire ses preuves », s’interroge Marie Mascré, co-fondatrice de Sowine mais pas d’emballement pour autant. Les consommateurs no-low privilégient le moment de l’apéritif (50 %) et les soirées (48 %) pour choisir ces boissons, ce qui correspond à des moments plus modernes que traditionnellement, comme du vin lors d’un repas familial. De toute façon, 50 % des consommateurs ne font pas attention à la teneur en alcool sur l’étiquette selon plusieurs études.

Néophobie et manque de repères

Même s’il n’existe pas encore de Fédération des « vins » sans ou à faible teneur en alcool, la France arrive en tête en termes de références sur le marché (170), devant l’Allemagne (40), l’Espagne (30). En tout une dizaine de pays se positionne doucement. La néophobie, la peur de la nouveauté pour un produit frapperait-elle les consommateurs ou les producteurs ? Un peu des deux sans doute. Pour l’heure, 24 % de l’offre de vins no-low correspond à des effervescents, suivis par les blancs, les rouges et les rosés ferment le ban. Si cela correspond aux tendances actuelles de consommation, « c’est peut-être aussi dû à la facilité ou aux difficultés de faire des vins blancs no-low plus équilibrés qu’en rouge », pose comme hypothèse Olivier Geffroy, enseignant-chercheur en œnologie à l’Institut polytechnique de Toulouse.

Côté prix, rien n’est encore arrêté. De la cuvée à 3,80 €/col à 75 € pour un vin premium no-low espagnol, la majorité se situe tout de même entre 7 et 10 €. 75 % des vins no-low présentent également des labels, tel que vegan, sans gluten, sans sulfite ou halal. Et même 13 % des vins no-low se revendiquent Organic, ce qui est interdit par la réglementation Européenne dans le cahier des charges de l’Agriculture Biologique pourtant.

Réglementation européenne

Car les vins no-low posent bien des questions et des défis œnologiques. Un nouveau règlement européen EU 2117 du 2 décembre 2021 a créé deux nouvelles mentions pour les vins tranquilles et effervescents affichant moins de 8,5° en zone viticole B* ou moins de 9° en zone viticole C –où figure la Saône-et-Loire– après un traitement de désalcoolisation. Ce qui permet d’appeler donc ces boisons, vins désalcoolisés (entre 0 et 0,5° TAV) ou vins partiellement désalcoolisés (entre 0,5 et 9° TAV). La première mention est uniquement possible en vin de France alors que la seconde « partiellement désalcoolisé » est possible dans toutes les catégories, y compris potentiellement pour un vin AOP, à condition de modifier le cahier des charges évidemment. « L’INAO ne le prévoit pas trop », sourit Jérôme Hourdel, œnologue consultant pour le groupe ICV. À savoir qu’il est déjà possible de désalcooliser partiellement et de réduire jusqu’à 20 % le TAV (de 15° à 13° par exemple) sans avoir à l’indiquer sur l’étiquette. Ne sont autorisés que les techniques et composés déjà autorisés pour la fabrication de vins.

 

Quelles techniques oenologiques ?

L’Institut français de la vigne et du vin a récapitulé les différentes techniques autorisées que l’on peut classer en deux grandes catégories, par évaporation ou via technique membranaire (ou filtration moléculaire).

Le règlement européen autorise différentes méthodes physiques.

– Plusieurs techniques permettent de retirer 60 voire 70 % de l’alcool des vins :

L’évaporation sous vide de l’alcool en fin de fermentation du vin,

L’évaporation sous vide en cours de fermentation (en cours d’étude),

Le stripping : une extraction de l’alcool en cours de fermentation en utilisant du dioxyde de carbone (CO2) (en cours d’étude, pas encore autorisé dans l’UE),

Une nanofiltration ou une osmose inverse couplée à un passage sur un contacteur membranaire (technique utilisée par le prestataire Gemstab). Cette technique nécessite l’équivalent en eau de 10 à 15 % de volume de vin traité par degré de vin retiré. Elle génère un mélange d’eau et d’alcool (jusqu’à 10°) considéré comme un effluent de cave.

Une nanofiltration ou une osmose inverse couplée à une distillation (technique utilisée par le prestataire Paetzold). Cette méthode génère un mélange contenant jusqu’à 95 % vol. alc. qui peut être valorisé en distillat agricole.

– Seules des techniques de distillation ou d’évaporation sous vide permettent de retirer plus de 60 % de l’alcool des vins et d’aller flirter avec le sans alcool. À ce jour, le procédé le plus connu est le « spinning cone column ». Ce procédé notamment proposé par la société Flavourtech permet d’extraire sélectivement les arômes avant d’éliminer l’alcool. La fraction aromatique est ensuite réintégrée dans la fraction désalcoolisée. Ce procédé génère de faibles pertes et permet d’obtenir des vins titrant moins de 0,5°.

– Les chercheurs travaillent actuellement sur d’autres techniques permettant de récupérer les arômes (adsorption sélective, CO2 supercritique, …). Ils se focalisent également sur l’extraction d’alcool directement depuis le vin. Seul l’alcool obtenu par distillation directe des vins (à pression atmosphérique ou sous vide) pourra être valorisé en distillat de vin voire en eau-de-vie de vin s’il conserve les caractéristiques organoleptiques du vin.

À savoir donc que pour la filtration, il existe de nombreux prestataires avec du matériel mobile permettant de filtrer de « petites » quantités. Des levures ne produisant pas d’alcool sont également en train d’être sélectionnées par les chercheurs pour faire fermenter des jus de raisins « pour produire naturellement des arômes de fermentation », voire à les combiner avec des mannoprotéines. Et évidemment des solutions « boisées » pour ramener de la complexité aromatique.

 

Principaux avantages et inconvénients

Le principal inconvénient venant immédiatement à l’esprit d’un vigneron est le changement de perception gustative du profil du vin de base. Mais il existe aussi d’autres inconvénients et d’autres avantages, surtout commercialement certes.

Un des aspects fondamentaux de ces procédés est la perte de volume liée à l’extraction de l’alcool. Selon les œnologues, lorsqu’on réduit le degré alcoolique d’un vin, par exemple de 12 degrés à zéro, environ 20 % du volume initial du vin est retiré. Cette perte n’est pas anodine, tant du point de vue économique que technique. L’alcool, en étant retiré avec une partie de l’eau, entraîne une concentration des autres composés du vin, en particulier les tanins, ce qui modifie le profil gustatif du produit final. L’acidité devient plus marquée, et les tanins, souvent plus agressifs, ne sont plus enrobés par l’alcool, qui agit généralement comme un adoucissant.

Ce double effet pose un défi majeur pour les producteurs. L’alcool joue aussi un rôle clé dans l’équilibre organoleptique du vin. Il apporte du corps et de la rondeur, et son absence diminue inévitablement ces sensations en bouche.

Un risque microbiologique accru

Un autre aspect important est la perte de composés aromatiques. Le degré de cette perte dépend de la quantité d’alcool retirée. Pour les amateurs de vin, ces arômes sont essentiels, car ils constituent une partie intégrante de l’expérience de dégustation. Une fois encore, l’extraction de l’alcool vient perturber l’équilibre subtil des arômes.

Sur le plan technique, la désalcoolisation bouleverse également l’équilibre physico-chimique du vin. « On crée des instabilités, notamment protéiques et tartriques », avertit l’œnologue. Le processus de fabrication d’un vin est complexe et toute modification du contenu en alcool remet en cause cette stabilité, rendant le produit final plus susceptible à divers problèmes.

L’un des effets les plus préoccupants de la désalcoolisation est le risque accru de développement de micro-organismes. L’alcool agit naturellement comme un conservateur, et son absence ouvre la voie à la prolifération de bactéries et de levures qui ne se développeraient pas dans un vin classique. Cet aspect microbiologique impose de nouvelles contraintes aux producteurs, qui doivent s’assurer que leur vin reste sûr à la consommation malgré l’absence de cette protection naturelle.

Une entrée en matière ?

Évidemment, l’opposition existe entre vin et vin sans alcool, surtout chez les amateurs de vins « traditionnels » d’ailleurs. Pour autant, les metteurs en marché qui se lancent sur ce segment sont généralement issus de la filière vin « traditionnel ». Ils se comparent alors plutôt au « café décaféiné » qui a trouvé sa place sans souci auprès du grand public. Les bières et les spiritueux no-low sont également en train de réussir à percer pour d’autres moments de consommation. Alors que la « déconsommation » et que la crise frappent presque tous les vignobles de France, les jeunes générations se détournent globalement des vins. Leurs goûts se tournent plutôt vers des boissons pétillantes et sucrées, à l’image des sodas. Les vins no-low, pouvant garder des sucrosités importantes – flirtant souvent autour des 40 g/l (mais avec potentiellement moins de kilo calories selon le TAV final) — pour compenser le manque d’éthanol et masquer les tanins tout en conservant une fraîcheur avec l’acidité, pourront-ils les séduire ? Le succès du Spritz avec du prosecco, ou sa version sans alcool crodino, aurait tendance à dire que oui. Pour le positionner dans sa gamme de vins « classiques », mieux vaut garder une logique et ne pas le sous ou surévaluer en prix.

« Mauvaise copie » ou manque d’offre de qualité ?

Tous les experts sont formels : « une majorité de vins sans alcool est mauvaise » pour l’heure, même si tous les goûts sont dans la nature certes. Une grande disparité existe. Mais l’offre grandit dans les réseaux cavistes, restaurants et bars, ce qui laisse à penser que ce ne sera pas uniquement un phénomène de grande distribution (2,5 % de leur linéaire vins). Cela illustre aussi l’arrivée de nouveaux consommateurs, adultes jeunes ou plus âgés, guidés à la fois par la santé sans renoncer au plaisir. Le symbole de cette recherche est la femme enceinte voulant continuer de boire du vin pendant sa grossesse, mais sans alcool. Le champ des possibles s’agrandit donc. Même si ce n’est pas un "eldorado".

Les offres se « premiumisent » actuellement, tirées par des innovations technologiques et œnologiques. Des "corners" Gueule de joie, spécialiste des vins no-low, se répandent dans la franchise V and B, tirant les ventes à la hausse régulièrement. La pédagogie des conseillers fait le travail autour de cette nouvelle catégorie de produits. Les clients sont alors des curieux, mais qui reviennent lorsqu’ils ont été bien conseillés, notamment pour d’autres moments de consommation que celui des vins "alcoolisés". Car tout le monde, en France et à l’étranger, n’a pas la même culture vinique. Mathilde Boulachin, création ex-nihilo de négoce de vins Pierre Chavin en 2010, qui produit 2 millions de cols de vins sans alcool, vendus dans 65 pays à travers le monde pour 13 millions de CA et des croissances à deux chiffres. Pour autant, la maison ne cherche pas à prendre des parts de marché aux vins, mais créer une alternative, pour celles et ceux qui ne veulent ou ne peuvent boire de vins alcoolisés. Voire reprendre des parts de marché aux bières. L’occasion de s’adresser également à des clients qui ne connaissent pas le monde du vin. Et pourtant, les meilleures progressions des vins no-low se font dans les pays producteurs…

De la maison bordelaise François Lurton, Xavier-Luc Linglin conserve son approche de viticulteur en commençant par faire de beaux raisins pour faire de bons vins et réfléchit sur les cultures vigneronnes en amont pour faire ses vins no-low à base de sauvignon.

Sébastien Thomas, directeur et cofondateur de Moderato, existe depuis 4 ans et distribué dans 600 points de vente. Pour lui, les vins low d’alcool ne sont pas faciles à positionner, entre le zéro ou le vin "alcoolisé". La maison s’est donc concentrée exclusivement sur les vins no alcool. L’offre est en "premium access" entre 7 et 10 euros par bouteille.