Véhicules d’incendie
La Saône-et-Loire, berceau des pompes à l’avant

Cédric Michelin
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À l’occasion du Congrès national des Sapeurs-Pompiers de France qui s’est tenu à Mâcon, se tenait une conférence passionnante le vendredi 27 septembre sur les véhicules d’incendie. Et la Saône-et-Loire a écrit sa propre histoire en étant le berceau de camions citerne avec leur pompe installée à l’avant. Une révolution que l’on doit en grande partie à un pompier de Saint-Gengoux-le-National : le commandant Guyon.

La Saône-et-Loire, berceau des pompes à l’avant

Certes, la centaine de présents semblaient être tous des « initiés » et des « spécialistes ». Pourtant, la commission Histoire et Musée (la musique étant désormais rattaché aux protocoles, NDLR) a bien des histoires à faire (re)découvrir aux jeunes pompiers et au-delà, au grand public. Ce 27 septembre, en la ville préfecture de Saône-et-Loire, ce sont deux « passionnés », deux « André » qui ont raconté l’histoire des « véhicules incendie avec les fameuses pompes à l’avant ».

Un sujet qui prend une saveur originale lorsqu’on apprend « l’originalité de la Saône-et-Loire » qui compte en 1950 « autant de GMC transformés en camion-citerne avec pompe à l’avant que dans tout le reste de la France, Outre-Mer inclus ». GMC pour General Motors Corporation, cette « fameuse » entreprise américaine fabriquant à l’époque des véhicules motorisés, camions tout terrain pour les armées lors de la Seconde Guerre mondiale. Ces derniers « n’ont pas que des avantages et doivent aussi pouvoir être démarrés à la manivelle », avec force, côté moteur. Mais les deux compères, André Piguet et André Horb, ont vite remarqué un détail qui n’en n’est pas un. En 1950, le chef de corps des Sapeurs-Pompiers de Saint-Gengoux-le-National, le commandant Louis Guyon a dû surmonter trois défis de taille : à commencer par l’administration. Rien que pour cela, il « mérite une statue ». En effet, en 1949, les « us et coutumes », la normalisation et la réglementation ne prévoient pas de pompe à l’avant. Pire, le Ministère de l’Intérieur est même « hostile aux citernes », considérant que les pompiers ont pour mission « de chercher un point d’eau plus tôt que de vider une citerne ». Le commandant Louis Guyon va réussir à convaincre que la France n’est pas Paris. Dans les forêts et vallons, « il n’y a pas une bouche incendie tous les 100 mètres ». Pour cause, avant les grands travaux d’adduction d’eau en France, « seuls 41 % de la population disposait de l’eau courante, c’était même 10 % dans les campagnes » avec des débits forts faibles. Les pompiers sont le plus souvent « tributaires des mares ».

Le début des « arroseuses »

Le commandant Guyon persévère, lui qui veut équiper la trentaine de centres de secours du département avec du matériel efficace pour assurer la lutte contre l’incendie adaptée aux conditions topographiques. Le Ministère accorde à contre-cœur l’installation de citernes sur châssis automobiles. Ces camions n’auront pas le droit de se revendiquer véhicules d’incendie, mais doivent se nommer « camion citerne automobile » (CCA) ou « arroseuse » sur le terrain. Ce sont les communes qui devront en plus trouver et avancer les fonds. C’est pourquoi, elles se tournent vers les « surplus militaires » comprenant ces Chevrolet et GMC, ces derniers équipés de trois essieux (6x6). À l’époque, les ateliers municipaux et les carrossiers Guinard et Tubincendie vont les retravailler pour accueillir les pompiers en cabines et les « auxiliaires », bien souvent entre la cabine et la citerne au milieu. Les citernes peuvent emporter de l’ordre de 3.000 litres d’eau en pleine forêt. Le commandant Guyon, également Inspecteur départemental des Services d’Incendie de Saône-et-Loire (1944-1957) va en acheter 30 GMC, un camion par centre.

Des précurseurs avant-guerre

Reste le problème de la pompe. Car « il est compliqué d’ajouter une transmission de mouvement vers la pompe depuis le moteur à l’avant jusqu’à l’arrière sur un camion GMC ». Heureusement, en Saône-et-Loire, on a déjà l’expérience d’installer des motopompes… à l’avant des camions. Ces « précurseurs » se retrouvent en 1931 à Chalon, en 1937 à Mâcon, à Saint-Martin-en-Bresse… presque un « mouvement religieux », plaisantent les deux André. « Cela répartit le poids avec la pompe de 300 kg à l’avant ». Une première commande groupée de quatorze camions citerne auprès de Pompes-Guinard à Saint-Cloud va marquer le dernier tournant décisif. Dès lors, les véhicules désormais autorisés à s’appeler « incendie » seront même inaugurés dans les villages, voire par le Préfet. « Un changement de monde » qui se poursuit avec les seize GMC suivants achetés chez Tubincendie… Entretemps, la normalisation des matériels créée des « camions citerne légers, moyens ou lourds », selon les besoins. Les « charrons » leur donnant des ailes et des cabines, en plus de leur belle couleur rouge, recouvrant le kaki militaire.

Mais il restait un dernier point technique décisif, comment respecter l’obligation de pouvoir (re)démarrer le véhicule avec une manivelle alors qu’une pompe entraînée est installée en avant du moteur ? « L’angoisse » des pompiers étant que le moteur chaud du GMC ne redémarre pas après l’arrêt indispensable à l’enclenchement de la pompe au milieu d’un incendie. Là encore, de l’ingéniosité des concepteurs va naître un astucieux support escamotable supportant la manivelle qui accède au fond de la tubulure d’aspiration de l’eau. Le département restant longtemps ainsi alors que les autres choisissent la pompe installée à l’arrière « à la française » ou au milieu, « à l’américaine ». Décidément, l’histoire des véhicules de pompiers est plus une histoire d’Hommes, de lieu et d’époque que de simple mécanique et carrosserie.

Photos André Horb et Philippe Latou, Président de l’Association « Gyrophare ».