Sélection variétale
La biodiversité des vignes s'effondre-t-elle ?
Suite de notre série d’articles autour du défi de l’innovation sur le matériel végétal en viticulture. Après avoir vu la semaine dernière, les projets CepInnov et GreffBourgogne, autour des variétés résistantes et des porte-greffes respectivement. Cette semaine, retour sur une rumeur qui n’a pas lieu d’être selon Laurent Audeguin, de l’Institut Français de la Vigne et du vin (IFV) : les clones érodent-ils la diversité génétique ?
La vraie question qui lui était posée en réalité lors du Vinosphère 2023 (organisé par le BIVB en février dernier) était celle-ci : « la multiplication végétative érode-t-elle la diversité génétique de la vigne ? ». Mais le directeur de Recherche & innovation au Pôle national Matériel végétal de l’IFV sait qu’il existe beaucoup de « fake news » autour des questions de sélections végétales. Il se faisait un devoir de les combattre. Notamment suite aux polémiques stériles sur les biotechnologies et OGM qui ont semé le trouble dans les esprits autour de la sélection végétale. C’est pourquoi, il débutait par rappeler les bases du système de reproduction de la vigne qui peut se faire par la voie sexuée « qui va générer via les pépins de nouveaux individus ». L’autre voie, dite asexuée ou végétative, permet, elle, de « générer des individus semblables, descendants de cette même souche ». Dans ce dernier cas, si les individus sont identiques ou quand ils font l’objet de variations mineures, les scientifiques parlent de clones à l’échelle intravariétale. Mais si des variations majeures apparaissent, avec de nouvelles formes, couleurs…, les sélectionneurs verront là une nouvelle variété ou un nouveau cépage.
C’est pourquoi, il faisait aussi un rappel de la taxonomie pour rappeler les niveaux de classification chez vitis vinifera (espèce), dont vinifera sativa (sous-espèce domestique) permet la fabrication de vins en France. Groupe de diversité et de filiation sont encore deux niveaux avant d’arriver au cépage, qui est un groupe variétal. En Bourgogne, le cépage pinot par exemple. En l’occurrence, le plus souvent sous la forme de pinot noir, la variété, qui est déclinée sous de nombreux types, appelés clones alors (115 par exemple pour le plus répandu).
Des pinots précoces mais pas tardifs
Dès lors, un clone n’a rien à voir avec la fameuse brebis Dolly. Mais effectivement, lorsque les scientifiques parlent de diversité génétique, ils parlent de mutations. Son synonyme fait moins peur déjà : variations. Celles qui peuvent donc être mineures ou majeures « en fonction de ce que la variation va générer ». Laurent Audeguin prenait donc des exemples pour ses « variétés dérivées ». Par exemple si la morphologie est fortement modifiée, sur le port et la ramification des rameaux, ou sur la villosité ou sur la forme, tel que le pinot meunier dit meunier. Outre les organes herbacés, les variations peuvent s’exprimer du côté des grappes et baies. C’est le cas pour les couleurs (blanc, gris…) et même, récemment, en Champagne a été « retrouvé » un chardonnay rose.
L’IFV observe aussi des formes « précoces » de pinot noir en termes de maturité jusqu’à « 15 jours à trois semaines » avant « l’échantillon commun médian ». Malheureusement, ils n’ont jamais trouvé de « tardiveté » aussi importante qui aurait pu être intéressante dans le cadre du changement climatique et des vendanges avancées ces dernières années. Enfin, la saveur peut aussi être bien sûr issue d’une mutation comme nos chardonnays à saveur muscatée de Saône-et-Loire. « Réglementairement, il aurait fallu les baptiser d’un nom chardonnay muscat ou muscaté », glissait-il au passage puisqu’il s’agit d’une « mutation qualitative notable ».
Variations intra-variétales
Après ces rappels qui ne font pas de mal, il arrivait enfin à répondre à la question de départ. « À l’échelle clonale, donc intra-variétal, des variations peuvent porter sur beaucoup de traits », rassurait-il sur la biodiversité présente : pigmentation, couleur, découpe de feuilles, fertilité, rendement, tailles grappes et baies, teneur en sucre, acidité, composés phénoliques ou encore qualité et typicité. « Mais on n’a jamais observé de différence de sensibilité aux maladies » à l’échelle intra-variétale malheureusement.
Mais du côté des mutations mineures, avec le temps, elles ont donc généré une « grande population naturelle ». La typicité des produits s’en trouve changée. « Notre pinot noir, datant du XIIe siècle selon les historiens, a vécu à la fois beaucoup de cycles de multiplication, qui a beaucoup évolué, qui a généré beaucoup de variations » avec le temps donc. Ce qui en fait « l’intérêt et les spécificités de ce grand cépage » pour qui veut se donner la peine de chercher et puiser dedans.
« Le paysage s’est réduit »
Après avoir rassuré donc sur nos choix possibles futurs en Bourgogne, il revenait donc à la question de l’érosion génétique. « Les dix principales variétés de vitis vinifera représentent presque les trois quarts du paysage national » qui s’est donc « considérablement réduit », même en élargissant aux 40 principales variétés.
Alors faut-il s’inquiéter ? Tout dépendra de la suite et de l’implication des viticulteurs. L’IFV a son réseau de partenaires, à commencer par l’Inrae (Entav) ou en Bourgogne, le BIVB, l’ATVB, les chambres d’agricultures de l’Yonne et de Saône-et-Loire… « On essaye de maintenir la diversité en installant des conservatoires », comme en Bourgogne sur le pinot, le chardonnay et l’aligoté (et le gamay en Beaujolais avec la Sicarex). Au niveau national, ce réseau de 180 conservatoires entretien quelque 20.000 accessions, autre nom des clones. « On parle d’accession lorsque le matériel n’est pas encore suffisamment caractérisé », expliquait-il cette subtile différence. Ces conservatoires sont le « fruit des prospections » dans différents vignobles de par le monde.
Ne pas opposer
C’est pour cela qu’il n’opposera jamais sélection massale et clonale, cette dernière ayant débuté dans les années 1940 en France, avec un premier objectif de sélectionner du matériel sain du côté des viroses (court-noué et enroulement notamment). Sont venues après des sélections orientées sur des critères agronomiques et de technologique pour la dégustation notamment. « La sélection clonale n’est donc rien d’autre que l’exploitation de la diversité naturelle existante », tordant donc le cou à nombre de fausses idées. Ou faux amis puisque le terme "clone" est utilisé à l’international. Au final, les vignerons ont accès à 47 clones « agréés » en pinot noir et 31 en chardonnay.
Relancer la sélection massale
Historiquement, la sélection massale se faisait de deux façons. Celle négative consistant à aller dans une parcelle pour marquer les souches à éliminer et multiplier les souches restantes. Le procédé positif à l’inverse est plus performant, car en choisissant au contraire les souches d’intérêts, cela répond plus aux attentes et stratégies définies. Enfin, il y a le matériel issu des conservatoires avec un phénotypage pour sélection.
Contre-vérités et impasses
Laurent Audeguin tordait le cou à deux ou trois contre-vérités comme celle disant que les clones seraient plus sensibles aux maladies du bois, jaunisses… « On n’a jamais rien prouvé », même s’il nuançait en bon scientifique qu’il est, en disant que ce n’est pas impossible. En effet, dans certains conservatoires ont été observées des maladies du bois et il a fallu les redéplacer.
Vraie impasse technique en revanche, la sélection massale de porte-greffes « qui ont 130 années d’histoire », post-phylloxéra. Ces porte-greffes « ont très peu muté et constituent une impasse technique », à moins de faire appel à l’aide de biotechnologies dans le futur…
Et qu’en est-il de semer des pépins de pinot ou de chardonnay ? « Vous aurez très certainement une nouvelle variété avec un risque de consanguinité et fatalement du phylloxéra », déconseillait-il.
L’urgence pour lui est plutôt d’intensifier les prospections avec les vignerons volontaires. Du côté de la filière, il y a urgence aussi à « installer des doubles de sécurité » car « on a peut-être trop considéré que nos conservatoires devaient rester dans la naphtaline. Il nous faut inviter les vignerons à installer des accessions avec des précautions sanitaires évidemment ». Car il faut bien différencier la conservation et l’usage. « On ne peut pas se satisfaire d’avoir planté un seul clone sur cinq hectares », concluait-il en guise d’invitation aux vignerons à manifester leur intérêt. Car le plus grand conservatoire de la diversité génétique sera ou ne sera pas un travail collectif.
Mutations, variation, clones…
À la question d’un vigneron qui voulait faire une sélection massale « poussée », Laurent Audeguin lui faisait remarquer qu’il faisait donc en réalité une sélection « clonale » de plusieurs individus dans sa vigne. Ce qui est bien, mais le vigneron n’avait pas l’air content. C’est que le mot clone est péjoratif, « répulsif » même pour certains. Le directeur de recherche à l’IFV rappelait donc qu’il ne faut pas « jeter l’opprobre sur la sélection clonale », suite à la confusion « par certains médias utilisant le verbiage clonage » à tort et à raison. Ici, il listait les « événements conduisant à élargir la biodiversité ». Les « naturels » ou « involontaires » selon les termes des sélectionneurs qui savent que des mutations apparaissent avec l’exposition des vignes aux UV, plus fréquemment dans l’hémisphère sud. Des mutations spontanées également, souvent un simple gène, qui dans la majorité des cas sont des mutations silencieuses mineures, ne se voyant pas. De l’autre côté, les scientifiques ont développé des technologies pour provoquer volontairement des variations du génome. Mais là, c’est une autre histoire…