Feux de forêts
Un pompier saône-et-loirien est parti lutter contre les méga feux de forêt à Québec
Le mercredi 28 juin, 75 sapeurs-pompiers français ont été mobilisés pour renforcer les moyens canadiens de lutte contre les "mégas feux" de forêts. Ces sinistres touchent le pays depuis plusieurs semaines et leurs conséquences ont dépassé les frontières du Canada, puisque même la ville de New-York s’est retrouvée sous la chappe des fumées irritantes. Parmi eux, le lieutenant Fabrice Malon, de la compagnie de Chalon-sur-Saône, avait répondu à un appel lancé sur la zone de défense Est, qui devait fournir cinq pompiers. L’officier livre aujourd’hui le récit des trois semaines passées sur ces feux particuliers, en Amérique du Nord. Récit.
« Deux jours après notre arrivée, nous avons rejoint la zone des feux, à environ 500 kilomètres au nord-ouest de Québec. Nous avons suivi deux jours de formation, sur les spécificités du milieu, son immensité, la faune, ainsi que le matériel », raconte Fabrice Malon, le seul sapeur-pompier de Saône-et-Loire à avoir rejoint les feux du Canada. « Il faut aussi faire attention aux ours. Mais nous n’étions pas préparés aux mouches noires, présentes en plus des moustiques. C’est un insecte inconnu ici : elles ne piquent pas ; elles mordent, arrachant des morceaux de peau, ce qui génère des infections. »
Une stratégie d’attaque différente
Les techniques d’intervention sont les mêmes qu’en France ; « par contre, la stratégie d’attaque du feu est différente », stipule Fabrice Malon. « Au Canada, il y a peu d’engins pour les incendies, car c’est compliqué pour les amener au milieu de la forêt. Ils n’attaquent pas les feux, sauf avec des moyens aériens, Canadairs, hydravions, ou avec les 85 hélicoptères bombardiers d’eau disponibles pour Québec. »
Le détachement de Fabrice Malon disposait d’une dizaine d’hélicos, « soit pour acheminer du matériel, soit pour acheminer les personnels dans la forêt, pour gagner du temps sur les déplacements. Sinon, il fallait compter deux ou trois heures de transit. Nous avons travaillé par équipes de quatre, mais sans engin d’incendie. Il nous fallait établir 1.000 mètres de tuyaux, en autonomie, en allant chercher l’eau dans les lacs ». Les journées de travail sont longues, « avec un début vers 7 h 30, jusqu’à 17 h 00, en général. Les équipes de quatre fonctionnent en autonomie complète, avec nos sacs à dos, cinq litres d’eau par personne, les sandwiches et une trousse de secours par groupe ».
Le but opérationnel, « c’était de sécuriser les lisières, pour éviter que les feux ne reprennent », explique le lieutenant saône-et-loirien. « Ces lisières sont de grandes dimensions, longues de 60 à 80 kilomètres parfois. Sans notre action, il y avait un risque pour que des milliers d’hectares se mettent à brûler, alors qu’il y a des camps autochtones, des campements de forestiers à protéger ».
Une stratégie reconnue efficace
« Les Québécois ont été surpris par notre efficacité ; nous avons gagné leur confiance rapidement, parce que nous avons travaillé de manière chirurgicale », argumente Fabrice Malon. « Nous avons envoyé des drones, la nuit, au moment où la température faiblit : leurs caméras thermiques ont relevé tous les points chauds, en les géolocalisant. Ces points chauds pouvaient nous poser des soucis, en se réactivant dans la journée. Alors, le matin, nous partions traiter ces points chauds. » Au Québec, on ne travaille pas avec les drones ; « pourtant, en dix à douze jours, les feux jusque-là maîtrisés sont devenus des feux éteints. »
Pour les points chauds relativement grands, il fallait beaucoup d’eau. « Alors, on s’établissait solidement dans la forêt, avec les motopompes et on arrosait pendant deux ou trois heures, en grattant la terre et les souches, pour faire pénétrer l’eau. Sur des boucanes (fumées) assez grandes, mais isolées, qui posent des soucis logistiques, on dégarnissait, on élaguait pour que les hélicos puissent larguer des poches d’eau de 500 litres sur les zones balisées », retrace Fabrice Malon.
Une météo très particulière !
« Les conditions météo étaient très humides. C’était bizarre : ça a beaucoup brûlé dans des zones marécageuses. Les feux "couraient" sur les mousses, dans les parties qui étaient sèches. Le feu ralentissait dans les parties les plus humides. Par contre, ça continuait dans les cimes, à 30 ou 40 mètres de haut, en raison de la présence de beaucoup d’épinettes noires, un type de sapin, très très sec. Son problème, dès qu’il est très sec, ça s’embrase tout seul, avec un coup d’allumettes », développe Fabrice Malon, tout en rappelant que ces feux se sont propagés sur des milliers d’hectares. « Les premiers jours, les températures étaient supérieures à 30 degrés. Mais nous avons affronté d’importantes variations de températures, avec des orages, parfois violents. Ces orages n’avaient aucun impact sur les lisières, car il y avait des croûtes ; sans gratter, sans aller au contact, l’eau ne pénétrait plus. »
Les enjeux sont différents par rapport à la France : « il n’y a pas de population disséminée dans le territoire ; Il n’y a pas de villages partout. Donc, si les flammes s’approchent d’une zone habitée, ils entrent en action », rappelle Fabrice Malon, expliquant aussi que « dans le Sud, la priorité, c’est de protéger la population et les biens. » Les sapeurs-pompiers français n’ont presque pas vu leurs homologues québécois, « sauf en ville, dans leurs casernes. Ils ne s’occupent pas du tout des feux de forêt. Ils sont spécialisés dans les feux urbains, la désincarcération et d’autres missions, comme les sauvetages sur les lacs gelés. Ils ne luttent contre ces feux que s’ils menacent leur ville ».
Un contexte canadien bien particulier
Le Canada est confronté à des "mégas feux" depuis 50 ans. « Ils ont fait appel à la solidarité internationale pour éteindre ces feux. Plusieurs détachements français ont été envoyés là-bas. Un premier groupe est parti début juin, avec 109 sapeurs-pompiers français ; des civils, professionnels et aussi des militaires, des sapeurs-pompiers de la Sécurité civile. Ils sont rentrés fin juin, après trois semaines de travail », indique le commandant Thierry Vuillemin, chargé de l’engagement opérationnel au Sdis. « Un second détachement est parti fin juin, comprenant Fabrice Malon. Ils étaient 120, 60 militaires et 60 civils, partis de l’aéroport de Marseille, pour être envoyés sur deux feux différents, pendant trois semaines. À ce moment-là, il y avait 900 feux recensés au Canada ! Des incendies d’ampleurs gigantesques, qu’on ne connaît pas en France. Du matériel avait aussi été affrété, environ 5 tonnes, c’est-à-dire des drones, des motopompes, du matériel de forestage (tronçonneuse, serpes, etc.) ».
« Tous les ans, les forêts brûlent au Canada. Cette année, il y en avait plus que d’habitude et surtout, il y avait les folles quantités de fumée qui se répandaient jusqu’à New-York et jusqu’en Europe », confirme Fabrice Malon. « Là-bas, c’est normal que ça brûle ! c’est le mode de fonctionnement de la forêt pour qu’elle se régénère, pour que l’épinette noire fasse de la graine. Ce qui est spécifique, c’est l’envergure de ces feux, puisque nous sommes intervenus sur des incendies de 70.000, voire 112.000 hectares ».
En arrivant au Québec, les sapeurs-pompiers français sont mis à disposition d’une société privée canadienne, la Sopfeu, chargée de la gestion des feux de forêt. « Une organisation bien différente par rapport à la France », souligne Fabrice Malon.