Jeunes agriculteurs et la FNSEA ont appelé fin octobre à manifester dans les villes de France à partir de la mi-novembre. Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, revient sur les objectifs de cette mobilisation qui doit permettre de débloquer de nombreux dossiers en souffrance.
Un an après le début des actions, où en sommes-nous ?
Arnaud Rousseau : Nos motifs de mécontentement sont nombreux. Il y a un an, nous avions, avec Jeunes agriculteurs (JA), commencé à retourner les panneaux de nos communes pour alerter les pouvoirs publics sur l'excès de normes imposées à l’agriculture française, sur la concurrence déloyale venue d'autres pays qui ne respectent pas ces normes, sur les retards de versement des aides agricoles européennes… Face à nos revendications, le gouvernement de Gabriel Attal avait formulé une soixantaine de propositions. Il s’était notamment engagé à simplifier les contrôles sur les exploitations ; à faire reconnaître l’agriculture comme d’intérêt général majeur au même titre que l’environnement ; à limiter les recours juridiques pour assurer le développement économique de nos fermes ; à accélérer sur le respect des objectifs dans la restauration collective inscrite dans la loi Égalim. Le gouvernement s’était engagé, avec l’approbation du chef de l’État, à répondre à nos attentes : Dignité, juste revenu et accès aux modalités d’exercice de nos métiers. Certes, nous pouvons nous prévaloir d’avancée notables, inscrites dans le projet de loi de finances, comme le GNR, ou encore l’inscription du calcul de la retraite des non-salariés agricoles sur les 25 meilleures années dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Mais la dissolution a rebattu les cartes politiques économiques et sociales du pays et retardé l’examen du projet de loi d’orientation agricole (PLOA) que nous travaillions à rendre plus musclé. Mais cela n’empêche en rien que les promesses, toutes les promesses soient tenues. Je pense que, depuis un an, notre « capital patience » a été mis à rude épreuve. On a suffisamment attendu. Toutes les conditions sont réunies pour reprendre notre mobilisation.
Quel est l’élément déclencheur qui vous a poussés à reconduire ces actions syndicales ?
A. R.: Incontestablement la perspective de la signature du traité de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne. Un tel accord ouvrirait la porte à 99.000 tonnes de viande bovine, à 180.000 tonnes de viandes de volaille, à l’équivalent de 3,4 millions de tonnes de maïs, à 180.000 tonnes de sucre (soit la production d’une sucrerie française) produits dans des conditions qui ne respectent aucune de nos normes. Les viandes sont produites avec des antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance. La traçabilité des produits est quasi-inexistante. Que dire des produits importés (soja, maïs…) issus de la déforestation et cultivés avec des substances actives phytosanitaires, pour une immense majorité, interdites en France. À cela s’ajoutent 8,2 millions d’hectolitres de biocarburants ce qui équivaut à la moitié de la production française ! Je passe sous silence les questions liées aux conditions de travail et au droit social… Ce traité de libre-échange est inacceptable en l’état. L’application des mesures-miroirs, d’une réciprocité totale sur les normes, doit être une condition sine qua non pour que l’Union européenne avalise ce traité. Dans ce type d’accords, l’agriculture constitue toujours une variable d’ajustement. On le voit encore dans le conflit qui oppose l’Europe à la Chine sur les voitures électriques. Nos vins et spiritueux (cognac et armagnac) sont victimes des représailles de Pékin parce que Bruxelles a surtaxé les véhiculés électriques chinois. Nous ne voulons plus ce type de situation. Et face à la volonté de la présidente de la Commission de nous faire accepter toutes ces incohérences avec un fonds de compensation, je veux lui dire que l’agriculture n’est pas à vendre pour un plat de lentilles. Malgré son isolement sur ce dossier, il faut que la France tienne bon. Il en va de l’avenir de notre agriculture et de notre souveraineté alimentaire.
Quelles sont vos revendications ?
A. R. : L’essentiel de nos revendications se traduit en trois volets : le court terme, la simplification et la cohérence. Sur le court terme, la crise agricole de début d’année s’est amplifiée avec des récoltes catastrophiques dans la majorité des filières, en raison des intempéries, mais aussi parce que nous ne disposons pas des outils de production nécessaires et efficaces pour lutter notamment contre les crises sanitaires à répétition. Ces outils existent, mais ils nous sont interdits. Ils nous auraient permis de sauver une partie de nos récoltes… C’est pourquoi nous réclamons plus de simplification dans la conduite de nos exploitations. Nous n’en pouvons plus des surtranspositions, de l’excès de normes environnementales qui ne cesse de gonfler au fil des ans. Cet arsenal juridique loin de générer des gains sur nos exploitations, les pénalisent lourdement. Je suis aussi très inquiet quant à un retour au pas de charge du Green Deal un temps écarté face à la grogne agricole. Sa vision décroissante ne laisse présager rien de bon pour nos exploitations. Enfin, nous voulons de la cohérence. Les pouvoirs publics français et européens nous incitent à produire plus vert et donc plus cher. Cependant, l’application du Mercosur nous contraindra à importer massivement des produits moins disant qui vont concurrencer les nôtres ! Pis, ces produits ne respectent aucune de nos normes sanitaires et phytosanitaires et sont issus de la déforestation. Enfin, on nous dit que notre métier est indispensable et nos produits essentiels, mais on les marchande à vil prix contre des avions, des cosmétiques… Où est la cohérence ? Je suis encore plus inquiet quand je constate que les grandes puissances (Chine et Russie en tête) investissent des milliards pour leur agriculture quand nous bradons la nôtre. Il est temps que nos dirigeants retrouvent le chemin du bon sens et du courage politique.