Matériel végétal
CepInnov et GreffBourgogne : deux exemples de projets territoriaux
Le matériel végétal, en tant que levier d’adaptation au changement climatique, est au cœur des préoccupations actuelles. En Bourgogne, plusieurs essais sont en cours, très souvent menés en partenariat. Ils visent notamment à étudier différents porte-greffes (PG) peu utilisés dans notre région et/ou réputés plus tolérants à la sécheresse. Autre piste exploitée : la création variétale, sans pour autant délaisser les cépages ancestraux. Pour tous ces projets, l’obtention de résultats exploitables requiert du temps ; mais une chose est sûre, il faut en passer par là.
« Tout ce qui touche au plant lui-même peut être associé au matériel végétal », introduit Marion Wimmer, cheffe de projet matériel végétal au Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) ; à savoir : la diversité intra et interspécifique, sans oublier la création de nouvelles variétés. Pas étonnant donc, que tout un réseau d’acteurs gravite autour de cette thématique (pépiniéristes, instituts de recherche, viticulteurs, interprofessions, structures d’enseignements etc.).
Face aux conditions climatiques actuelles et aux scenarii futurs, les enjeux du matériel végétal apparaissent multiples : protection et préservation, adaptation, sélection et diversification… En sachant que la diversité des porte-greffes (PG) est peu exploitée sur nos territoires. En Bourgogne, seulement cinq des 31 PG inscrits au catalogue français se partagent 95 % du vignoble. 27 de ces variétés ayant été créées entre 1870 et 1906, soit durant, ou immédiatement après la crise phylloxérique ayant dévasté le vignoble français.
GreffBourgogne : lancement et premières observations
Le moins qu’on puisse dire sur le programme GreffBourgogne est qu’il comporte une forte dimension partenariale. Son pilote : le BIVB. Ses membres : l’ATVB (Association technique viticole de Bourgogne), le Gest (Groupement d’étude et de suivi des terroirs), l’IFV, le Vinipôle Sud Bourgogne, les chambres d’agriculture de Côte-d’Or et de l’Yonne. Objectifs de ce jeune programme (2021) : utiliser le panel existant de PG et déterminer lesquels seraient les plus adaptés aux futures conditions climatiques bourguignonnes.
Trois plateformes plantées par les partenaires techniques sont réparties sur 6 sites : 3 en Saône-et-Loire (greffons de pinot noir, chardonnay et aligoté), 2 en Côte-d’Or (pinot noir et chardonnay) et le dernier dans l’Yonne (plantation de chardonnay prévue en 2024). Les mêmes 10 à 12 PG sont testés sur chaque plateforme, et plantés en blocs répétés, pour « s’affranchir de l’effet parcelle », explique Marion. « Chaque partenaire reste dans sa région ; le BIVB est là pour rassembler tout le monde », indique-t-elle. D’où l’importance d’une animation transverse. En plus de ces plateformes, un réseau de 35 parcelles appartenant à des vignerons fait l’objet d’un suivi. Jusqu’à 7 PG étudiés sur une même parcelle. Au bilan, le nombre de modalités (couples PG - greffon), s’élève, pour l’ensemble du réseau, à 105. Représentant ainsi une trentaine de terroirs et reflétant la grande diversité pédoclimatique du vignoble bourguignon. Enfin, un troisième réseau, dit "d’observation vigneron" a été mis en place ; visant à intégrer activement les viticulteurs. Pour récolter un maximum d’expertises terrain, Marion utilise l’application Landfiles. Grâce à cet outil numérique, elle peut directement publier des formulaires. Une fois rempli, un traitement automatique fournit un premier jeu de données. En période de vendanges, seuls les rendements sont demandés, pour ne pas trop alourdir la charge de travail. Par ce biais, « on suit la vigne elle-même », affirme Marion.
2023 constitue la deuxième année d’observation. En gardant bien à l’esprit que les plateformes sont jeunes et pas encore en production. De même, chez les vignerons, il y a très peu de parcelles anciennes. Toutefois, le lancement du projet (en route pour dix ans) étant bien avancé, les différents PG commencent à être comparés, sur un même secteur, en conditions réelles. « Un gros travail statistique est à faire », souligne Marion. « On obtient des données chaque année, mais il y a forcément un effet millésime, donc on essaie de cumuler au moins trois années », poursuit-elle. Pas de quoi pour l’instant aboutir à de réelles conclusions. À terme, les tendances et résultats obtenus aiguilleront au mieux les vignerons dans le choix de leurs PG.
CepInnov : phase finale en vue
CepInnov est un peu plus ancien que GreffBourgogne. Initialement porté par l’Inrae, le Comité Champagne, l’IFV et le BIVB, ce programme de création variétale est né en 2014. Objectif : réaliser des croisements entre variétés résistantes (notamment au mildiou et à l’oïdium) et cépages emblématiques bourguignons.
Dans le cadre du protocole Vate (Valeur agronomique technologique et environnementale), trois phases se succèdent : sélection précoce (3 ans), intermédiaire (6 ans) et finale (6 ans). Les variétés des géniteurs dits de "résistance" sont majoritairement issues du programme national Resdur (années 2000). Néanmoins, il subsiste un "risque de contournement". Autrement dit, les maladies peuvent muter et "contrer" les gènes de résistance et/ou de tolérance. D’où l’importance d’en obtenir plusieurs pour une même maladie. Du côté des géniteurs de "typicité" – bien qu’on ne les appelle pas comme ça, précise Marion –, il s’agit du chardonnay, du pinot noir, du gouais et du meunier.
De 2015 à 2018, des 12.000 pépins obtenus ont été retenues (via une sélection assistée par marqueurs) 350 variétés. Marquant le début de la sélection intermédiaire et donc des plantations. Pour cela, un site doublé a été défini, respect du protocole oblige. Avec une antenne en Champagne et l’autre à Aluze, en Côte Chalonnaise, gérée par la chambre départementale. Depuis les 45 premiers individus (variétés) plantés en 2018, le site saône-et-loirien s’est bien agrandi. Il en compte aujourd’hui 350 ; 2023 étant la dernière année de plantation. Chaque variété comprend cinq pieds (souches), sans compter ceux en bordure. De plus, des rangs de garde permettent « d’éviter la dérive des traitements sur le reste de la parcelle », explique Marion. Dès lors que la vigne est entrée en production, il faut, a minima, compter trois années de notations homogènes. Ces dernières assurent un suivi : du port, de la vigueur, des divers stades phénologiques, des maladies, des capacités agronomiques, de la maturité et de la vinification. À noter qu’un fort épisode de gel fait "perdre" une année, tant les données sont biaisées. Ce qui n’empêche pas d’analyser le comportement des vignes face à l’aléa. « On apprend des choses tous les ans », affirme Marion. Ainsi, dès cet hiver, débuteront les discussions sur le choix des variétés plantées en 2018 à conserver. CepInnov espère pouvoir inscrire une poignée de variétés au catalogue français (environ 5 sur les 10 à 40 sélectionnées en phase finale).
Concernant les nouvelles variétés, une question reste en suspens. Celle du nombre de traitements phytos le plus adapté. « On est encore en train d’apprendre à les connaître », déclare Marion. C’est en tout cas ce sur quoi l’observatoire national Oscar se penche. Collectant les IFT de parcelles de variétés résistantes, bien sûr pas à tout. Ces synthèses démontrent, d’ores et déjà, une nette diminution d’intrants.
Toutes ces initiatives ne font que renforcer le rôle des conservatoires. Plus que jamais essentiels, au-delà de l’aspect purement patrimonial. Ils constituent une réelle base de données scientifiques. « Plus grand sera le réseau, plus on aura de données exploitables », souligne Agnès Mathé, animatrice du Gest, quotidiennement témoin de dépérissements. « Il faudrait cinquante ans de recul pour avoir des certitudes », ajoute-t-elle.