Femmes en agriculture
« Osez Mesdames les agricultrices ! »
Installée en Gaec en production laitière avec son mari dans le Doubs, Catherine Faivre-Pierret préside la Commission nationale des agricultrices (CNA) de la FNSEA a foi dans l'action collective est le moteur de son engagement.
Fille d'agriculteurs, Catherine Faivre-Pierret n'était, au départ, pas emballée par l'idée de poursuivre dans la voie de ses parents. La vie en aura finalement décidé autrement. Titulaire d'un BEP tourisme en milieu rural, puis d'un baccalauréat professionnel en commerce, elle travaille sept ans en tant que vendeuse dans un magasin, puis quatre ans dans la restauration. Jeune mariée et jeune maman, Catherine est d'emblée confrontée aux journées qui comptent double, quotidien de nombreuses femmes. « Je faisais les deux métiers à la fois : j'aidais mon mari dans l'exploitation le matin pour la traite et je travaillais dans la restauration le midi. Entre-temps, je m'occupais des enfants. Il a fallu faire un choix entre les deux métiers. »
Une place à part entière
Le déclic a sans aucun doute été ce moment où elle s'est sentie à sa place en tant que femme à part entière et pas uniquement en qualité de femme de… son mari, apte à partager les décisions avec lui d'égal à égal. À l'aube de la quarantaine, elle entame donc une formation de technicien agricole pour rejoindre la ferme dont le lait est valorisé dans une fruitière à comté AOP. « Cet apprentissage m'a permis de faire une analyse sur la situation de l'entreprise de mon mari. Lui, ça faisait une dizaine d'années qu'il était installé et qu'il n'avait pas pris le temps de prendre du recul sur son installation. On a remis les chiffres à plat. On a retravaillé notre façon de voir les choses, notre méthode pour mieux planifier notre travail. » En 2009, elle s'installe sous le statut d'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL). D'emblée, elle mesure combien ce statut est limitant. Le gaec entre époux et la reconnaissance des mêmes droits pour les associés sera son premier combat. En rejoignant un groupe de développement d'agricultrices sur son secteur de Villers-le-Lac dans le Doubs, Cathy est portée par le collectif. Elle bataille pour faire reconnaître les droits des agricultrices, rencontre la députée du Doubs Annie Genevard. « À l’époque, la parité venait d'être instaurée dans le monde politique. Nous avons bataillé auprès des parlementaires, mais aussi auprès de nos responsables professionnels masculins pour obtenir gain de cause », se souvient l'agricultrice. En 2011, la possibilité de constituer un Gaec entre mari et femme est actée par la loi. En 2014, la loi est complétée par la reconnaissance de tous les associés. « Aujourd'hui, être en Gaec me permet d'avoir des aides de la politique agricole commune (Pac), de pouvoir voter dans les assemblées générales des coopératives et de cotiser. »
« Vous avez le droit d'être sur la photo »
Du Doubs, Catherine a rapidement rejoint les instances nationales de la FNSEA. « Il y avait une place qui se libérait à la commission nationale des agricultrices, je me suis vite pris dans cette aventure collective car j'aime le contact ». Un contact qui à l'origine, elle imaginait assouvir en ouvrant ses chambres et table d'hôte. La survenue d'un cancer en aura décidé autrement. « J'ai eu besoin de prendre soin de moi, mais c'est encore dans un coin de ma tête ». Présidente de la Commission nationale des agricultrices (CNA) depuis 2023, la productrice de lait profite de chaque réunion avec des agricultrices pour les inviter à oser et leur dire qu'elles sont légitimes dans la voix qu'elles portent : « Quand vous rencontrez un ministre, un élu, un responsable, vous avez le droit d'être sur la photo, de discuter. Il s'agit à chacun, homme et femme, de trouver sa place », illustre-t-elle. Ce frein psychologique relevant selon elle d'une forme d'humilité ne constitue pas le plus dur à surmonter. « Pour que les agricultrices s'engagent dans la prise de responsabilité, il faut déjà qu'elles puissent se faire remplacer y compris dans la sphère familiale qui leur incombe encore très largement. Pour se faire remplacer il faut que nos fermes dégagent suffisamment de revenus », indique Catherine Faivre-Pierret. Alors qu'elle mesure le chemin parcouru, elle trace la voie des combats qui restent à mener : travailler sur le manque de personnel pour assurer les remplacements de congés maternité des agricultrices, obtenir la prise en compte des 25 meilleures années dans le calcul de la retraite, travailler sur les 17 ans minimum de cotisations dans le régime agricole pour bénéficier de la retraite agricole, « qui de fait exclu celles et ceux qui ont eu une vie avant »…Résolument optimiste, Catherine Faivre-Pierret estime que les femmes en agriculture ont plus que jamais une soif d'apprendre et d'entreprendre. Elle entend bien les accompagner dans ce désir.
Sophie Chatenet