Interview
« Le monde agricole est construit sur un modèle patriarcal »

Sociologue dans les questions de genre en agriculture, Alexandre Guérillot étudie la place des femmes en agriculture : une construction sociale et sociétale des genres qui ponctue les activités agricoles en France. Rencontre. 

« Le monde agricole est construit sur un modèle patriarcal »

Alexandre Guérillot est doctorant en sociologie à l’Université de Lille, sous la direction de Clotilde Lemarchant, enseignante-chercheuse spécialiste des questions de genre, notamment en agriculture. En 2018, il publie une enquête sur la division genrée du travail en agriculture biologique, après un stage à la FNAB (Fédération nationale de l’agriculture biologique).

Selon vous, est-ce que nous nous dirigeons vers une féminisation de l’agriculture, notamment dans les statuts indépendants ?

Alexandre Guérillot : « Selon les données du dernier recensement agricole (2020), nous observions que la part des femmes dans le salariat agricole avait augmenté. Mais la part des salariés dans le travail agricole augmente, elle aussi, contrairement à la part des exploitants. Pour autant, la part de femmes agricultrices-exploitantes a elle aussi grimpé en flèche entre 1970 et 2010 : en 2010, résultat du recensement agricole, 27% de l’ensemble des agriculteurs-exploitants étaient des femmes. À l’époque, c’est une nouvelle qui a fait couler beaucoup d’encre. Aujourd’hui, cette part est descendue à 26%. La tendance s’inverse, il y a eu un mouvement de féminisation qui a l’air de patiner un peu désormais. »

Existe-t-il une division genrée du travail en agriculture ? Comment se traduit-elle ?

A.G. : « En effet, elle est très marquée et ne date pas d’hier. En élevage, par exemple, nous remarquons une division entre les tâches relatives au soin des animaux et les travaux culturaux : dans les systèmes de polyculture-élevage, les hommes se trouvent massivement dans les champs tandis que les femmes sont davantage sur les travaux relatifs au soin des animaux, à leur contact direct : traite, soin, suivi, vêlages etc. Plus globalement, au-delà de la filière élevage, nous observons que les femmes sont toujours plus proches de la maison : traire ne demande pas de trop s’éloigner, par exemple. Les milieux agricoles sont encore très conservateurs, gardent une éthique organisée autour des valeurs familiales, les agricultrices se trouvent souvent renvoyées à la lisière de la vie domestique et de leur activité professionnelle. »

Quel est le lien entre évolutions techniques, technologiques, et inégalités ?

A.G. : « Il y a une réelle division autour des outils et des machines : ils contribuent fortement à la division genrée du travail. En maraîchage, ça marche un peu moins parce que les outils et les machines sont plus légers et il y en a beaucoup moins. Il existe ce que l’on appelle un « gap technologique », c’est un principe anthropologique : les objets les plus puissants donnent du pouvoir sur la nature, sur les autres et sont accaparés par les hommes. L'archétype de cette anthropologie, ce sont les armes, elles permettent aux hommes de garder le pouvoir. Ce système est tout à fait transposable dans l’agriculture, notamment avec le tracteur, l’outil le plus polyvalent, avec un maniement ultra-masculin. Le système social des exploitations ne laisse aucun doute sur le fait que le milieu est encore patriarcal. »

Propos recueillis par Charlotte Bayon