Argentine : Un modèle agro-exportateur en pleine évolution
Une note du centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, fait un portrait de l’agriculture argentine. Elle met en avant les évolutions qu’elle a subies ces 30 dernières années, le secteur agricole est en effet passé d’un modèle centré sur les exportations de grains et de viande à un complexe agro-industriel oléagineux. L’auteur, Hugo Berman, précise aussi les performances économiques, sociales et environnementales, de l’agriculture du pays et identifie ses principaux enjeux pour l'avenir.
Fin septembre, le centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture et de l’alimentation a publié une note intitulée « modèle agro-industriel argentin dans la mondialisation ». Cette publication rédigée par Hugo Berman, dresse un portrait de l’agriculture argentine d’aujourd’hui tout en décrivant ses évolutions. Entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle, la croissance démographique de l’Europe a causé une augmentation de la demande alimentaire. C’est à cette période que l’Argentine est devenue un acteur majeur en tant que producteur et explorateur de matières premières agricoles. Pour répondre à la demande en augmentation le pays met alors en place un politique d’immigration et de colonisation, notamment pour peupler la région de Pampeana, (région de 600 000 km², aux terres fertiles, qui couvre en partie les provinces de Santa Fe, Entre Rios, La Pampa, Córdoba et Buenos Aire). Les arrivants sont en majorité des Européens issus du monde agricole, ils fournissent la main-d’œuvre nécessaire pour développer les terres cultivées qui s’étendent progressivement vers le sud du pays, au détriment des populations indigènes. Cette région porte une agriculture compétitive. Le modèle mis en place, tourné vers l’exportation, rend le secteur agricole structurellement sensible aux variations de contexte international, notamment en cas de crise.
Développement du soja au détriment des autres cultures
Aujourd’hui, l’agriculture argentine garde sa vocation exportatrice mais elle a beaucoup évolué dans les 30 dernières années. Ainsi, l’affectation des sols a évolué en même temps que les productions et les exportations. Les cultures de soja se sont développées au détriment du blé, du maïs, du tournesol et de l’élevage bovin. En effet, l’agriculture du pays est dominée par un complexe agro-industriel oléagineux. L’auteur précise qu’en 2016, 53 % des exportations agricoles et agroalimentaires de l'Argentine concernaient les oléo protéagineux, 22 % les céréales, 7 % la viande bovine et 18 % d'autres exportations, toutes destinations confondues. Il ajoute que les oléagineux constituent l'essentiel des exportations à destination de l'Asie et sont majoritaires à destination de l'Union européenne et l'Afrique Nord. Lorsqu’elle se concentre sur un nombre restreint de pays, cette part importante des exportations constitue un risque pour le pays. « C'est particulièrement le cas de la Chine qui représente actuellement la moitié des importations mondiales de soja, ce qui lui donne un réel pouvoir de négociation », note Hugo Berman. En plus du développement de la culture de soja ces 30 dernières années, l’agriculture argentine a subi de nombreux développements. Ils ont notamment été marqués par le renforcement du modèle productif fondé sur un paquet technique associant semences OGM, semis direct et utilisation de glyphosate.
Recours accrus aux prestataires de services
De plus, les producteurs ont significativement augmenté leur recours à des prestataires de services (contratistas) pour réaliser les travaux agricoles. En 2014, dans la filière céréale et oléo-protéagineuse, ces contratistas ont réalisé 60 % des semis, 75 % des traitements phytosanitaires et 95 % des récoltes. Pour l’auteur de la publication, l’originalité du modèle argentin actuel tient à « la conjonction d'une demande mondiale croissante en oléo protéagineux (soja) pour l'alimentation animale et humaine, d'une réduction des coûts de production, favorisée par une puissante stratégie de R&D et commerciale et d'une structure agraire flexible et adaptable ». En raison du poids économique du secteur agricole et de ses exportations, il est la principale source de devise du pays et l'enjeu de plusieurs politiques publiques. Si des changements politiques se sont succédé, allant parfois dans des directions opposées, Hugo Berman explique qu’ils n’ont cependant pas fondamentalement changé la logique d’accroissement de la rentabilité, de réduction des coûts et d'augmentation de la taille des unités de production.
Un modèle qui « montre des faiblesses »
Dans les années 1990 l’augmentation de la demande internationale de matières premières a coïncidé avec la mise en place en Argentine, de politiques macro-économiques nationales de dérégulation qui ont conduit l'Argentine vers un nouveau modèle agro-exportateur, en grande partie fondé sur les céréales et les oléo protéagineux. Le pays se place donc parmi les premiers exportateurs mondiaux de grains, farine, huile de soja, et de biodiesel. Ce modèle, « solidement enraciné » montre toutefois des signes de faiblesse. Se pose en effet la question de son impact environnementale. Le secteur agricole est responsable de 26 % des émissions de gaz à effet de serre en Argentine, de plus le glyphosate est utilisé massivement. D’après l’auteur, les rapports de forces internes à la société argentine ne sont pas, pour l'instant, propices à la mise en place de politiques nationales prenant en compte les questions environnementales, même si en 2015, le ministère de l’environnement a été créé. Autre faiblesse énoncée par Hugo Berman, le ralentissement des gains de productivité que connaît actuellement l’agriculture argentine, en partie en raison de sa politique de restriction aux exportations, sa productivité future est donc remise en question. Enfin, l’auteur évoque les problèmes de transport qui constituent une des variables importantes de la compétitivité du secteur, car « la logistique gagne toujours plus en importance à l'échelle internationale ».